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coup tous les problèmes techniques, définit le but de la peinture, en mesure, indique, éprouve les ressources dans une rapide série de chefs-d’œuvre définitifs et exemplaires, avec une décision incomparable. Les aînés dans le temps, ils resteront toujours les premiers dans la gloire. Aucun de leurs successeurs, dans les Flandres ou les Pays-Bas, aux XVe et XVIe siècles, ne parviendra à les égaler ; aucun pourtant, comme on le voit ici à chaque pas, n’aura cessé de s’en souvenir, et ne se sera lassé de les étudier.

Leur œuvre capitale et collective, le Triomphe de l’Agneau, fut offerte à l’admiration publique le 6 mai 1432, dans l’église Saint-Bavon-de-Gand, où ne reste plus, hélas ! que le panneau central, entre les copies des volets vendus aux musées de Berlin (1821) et de Bruxelles (1860). Hubert était mort depuis six ans ; son frère cadet, Jean, avait achevé son œuvre. C’était partout l’heure des grandes révélations. En 1427, dans la chapelle du Carminé, à Florence, les fresques de Masaccio avaient marqué l’épanouissement complet de l’art toscan ; vers 1422, celles de Gentile da Fabriano et de Viltore Pisano, celui des arts ombrien et véronais, au Palais ducal de Venise. Désormais, durant tout le XVe siècle, Bruges et Florence, Bruges et Venise, associées par le commerce et par l’industrie, vont rivaliser, en même temps, d’activité dans les productions de l’art. Seulement, tandis qu’en Italie, on retrouve si bien, durant le siècle précédent, dans Giotto et ses innombrables successeurs, toute une suite de préparateurs admirables à cet épanouissement triomphant, on éprouve quelque peine à ressaisir ici les liens qui rattachent à leurs prédécesseurs septentrionaux ces incroyables Van Eyck.

Sans doute, l’art de peindre était, de temps immémorial, exercé avec amour, avec passion même, dans tous les Pays-Bas. Les églises, dès la période romane, y étaient revêtues de peintures murales[1] ; les sculptures intérieures et extérieures, dans les palais et châteaux, coloriées et dorées. Ces parures luxueuses des édifices s’associaient à l’éclat intense des verdures et à la beauté nuageuse des ciels, surtout dans les villes aquatiques, pour donner aux yeux flamands l’habitude et le besoin des harmonies colorées. L’art délicat du miniaturiste, sorti des couvons, y fournissait, depuis longtemps, des livres à l’exportation. Néanmoins,

  1. Voyez l’intéressant travail de M. Tulpinck, secrétaire général de l’Exposition des Primitifs flamands, Etude sur la peinture murale en Belgique jusqu’à l’époque de la Renaissance (Mémoires couronnés par l’Académie Royale de Belgique, 1900).