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l’Angleterre reprochait à Bonaparte. « Le roi d’Angleterre, répondait le Consul, n’ayant voulu reconnaître ni la République italienne, ni la République helvétique, l’état du continent ne pouvait être garanti par l’Angleterre puisqu’elle ne le connaissait pas… A l’époque de la paix d’Amiens, et un mois après, nous avions en Suisse 10 000 hommes, en Piémont 30 000 hommes, et, dans la République italienne, près de 40 000 hommes ; par conséquent, en demandant l’état tel qu’il était à la paix d’Amiens, ils ne peuvent pas se plaindre de l’état d’aujourd’hui. » Les Anglais, ajoutait-il, n’ont pas laissé, de leur côté, d’opérer des changemens aux Indes, depuis le mois de mars 1802. Il serait alors en droit de réclamer l’état des Indes à l’époque de la paix. Il ajoutait : Quant à la Suisse, elle nous est nécessaire, ce serait un nouveau Jersey, et c’est trop d’un seul avec les émigrés qui y complotent, avec « la protection accordée aux brigands, aux évêques rebelles, aux Bourbons[1]. »

La Suisse était le point faible de son argumentation, car, si le traité n’en parlait point, la médiation était notoirement postérieure à la paix. Les Anglais ne manquèrent pas d’en tirer argument. Mais ils ne se sentaient pas en condition de déclarer la guerre ; ils se flattaient d’y obliger Bonaparte et d’en rejeter la responsabilité sur son inquiétude et son ambition. Ils comptaient, pour l’amener là, sur les incidens de procédure, et ils se décidèrent, avant d’en venir aux mains, à entamer le procès en formes solennelles. C’est ainsi qu’après une première crise, qui avait rempli les mois d’été et d’automne de 1802, on en vint à échanger les ambassades. Whilworth et Andréossy rejoignirent leurs postes, moins comme des arbitres de la paix, que comme des hérauts d’armes qui vont entamer le duel de parole, ou plus exactement comme des huissiers, très augustes, qui vont porter de part et d’autre les exploits, commandemens et significations comminatoires.


ALBERT SOREL.

  1. A Talleyrand, 4 novembre 1802.