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venait d’y engager le pays ; sous son impulsion, sur sa garantie, la France s’anime, travaille, entreprend.

Des navires de commerce arment, dans tous les ports de l’Ouest, pour le long cours et les colonies. On se croit revenu à cette période de renaissance qui a suivi, sous Louis XVI, la guerre des Etats-Unis et le traité de 1783. Des expéditions militaires sont en route ou vont partir pour les Indes. Les Anglais auraient trop beau jeu à saisir tant de proies ! « Je suis convaincu que Bonaparte désire la paix, » écrivait un gentilhomme normand, chevalier de Malte, passé au service bavarois ; « et que, malgré l’éloignement que lui inspirent pour l’Angleterre les injures grossières qu’on lui prodigue dans ce pays, il fera la paix, s’il voit qu’on la désire de bonne foi. — Toutes les notions que je me suis procurées m’ont convaincu que Bonaparte voulait décidément la paix. — C’était surtout pour se livrer entièrement aux grands travaux que Bonaparte désirait conserver la paix[1]. »

Mais telle est la fatalité qui poussait la France et l’Angleterre à renouveler leur querelle, aussi ancienne que leur histoire : les travaux principaux de Bonaparte, ceux qui lui rendaient la paix la plus précieuse, étaient précisément de nature à précipiter la rupture, car ils affermissaient Bonaparte dans sa résistance à tout accommodement commercial. Au mois de novembre 1802, il alla visiter la Normandie. Il découvrit cette province riche en hommes, en fruits, en chevaux, en bétail de toute sorte ; ce fleuve à la vaste embouchure, qui met un port de mer à quelques heures de Paris ; tant de ports, tant de pêcheurs, de pilotes, de nids de corsaires et de recrues pour les vaisseaux ; cette race de colons qui avait en partie peuplé le Canada, la Louisiane, qui ne demandait qu’à repartir aux terres lointaines pour relever les fortunes anéanties par la guerre et reconquérir les colonies au travail français ; ces draperies, ces tissages, ces usines qui s’élevaient, à l’image et à la concurrence immédiate de celles de l’Angleterre ; nulle part, sauf à Lyon, il n’avait constaté cette confiance en son gouvernement, cet empressement aux métiers ; nulle part cette rivalité tenace, héréditaire, rivalité de congénères, avec les Anglais.

« Tout est ici consolant et beau à voir, et j’aime vraiment

  1. Lettre du comte de Bray, 1803. — Aus dem Leben eines Diplomaten alter Schule. Leipzig, 1901.