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n’entendaient tolérer de la part d’un gouvernement quelconque de la France, monarchie ou république, mais république surtout : car un gouvernement de cette étiquette ne leur paraissait conforme à sa nature, à sa raison d’être, à leurs convenances, que modeste, humble même, subalterne et subordonné : telle la République des Provinces-Unies sous l’ancien régime, et, actuellement, la République batave. Voilà le vrai de l’indignation d’Alexandre sur le Consulat à vie. C’est en cela qu’il ne pardonnait point à Bonaparte de « singer les cours, » et que ce pur républicain de Moscovie proclamait le Corse « un des tyrans les plus fameux. » Il en pensait tout juste ce que Pierre le Grand pensait de Louis XIV.


VI

Les Anglais relèvent le ton. « Nous n’avons pas fait la moitié de ce qu’on voudrait nous voir faire, disait Hawkesbury à Otto. Quoique je doive vous rassurer sur le passé, je ne puis en dire autant de l’avenir[1]. » L’ambassadeur pour la France avait été choisi, lord Whitworth ; ses instructions dressées, le 10 septembre. La réunion de l’île d’Elbe, la réunion officielle du Piémont suspendent son départ. La proclamation de Bonaparte aux Suisses, du 30 septembre, fournit le prétexte à tout remettre en question : on disputera sur l’équivoque des préliminaires et du traité d’Amiens.

Le traité, dit Hawkesbury, a été basé sur un système de compensations et de restitutions. Or, depuis le traité, la position respective n’a pas cessé de se modifier, et toujours à l’avantage de la France. « Le Piémont a été réuni : vous êtes sur le point de disposer du sort de l’Allemagne, de la Suisse, de la Hollande. Malgré la détermination que nous avons prise de ne nous mêler en aucune manière des affaires du continent, nous y sommes entraînés malgré nous, autant par les plaintes qui nous sont adressées que par l’opinion qui se prononce ici avec une énergie sans exemple. »

En fait, ils connaissaient parfaitement, lors des préliminaires, les vues de Bonaparte sur le Piémont. La transformation de ce pays en division militaire et préfectures françaises, la

  1. Rapports d’Otto, 3 et 18 octobre 1802.