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l’échec de ses diversions coloniales. L’expédition de Saint-Domingue a tourné au désastre. En juillet, cette belle armée de Brest est réduite à 8 000 hommes anémiés, éreintés par la fièvre. En septembre, ils ne sont plus que 3 000. Leclerc meurt, désespéré. Bonaparte ne veut plus entendre parler de Saint-Domingue : c’est une faute qu’il ne se pardonne pas. Avec cette expédition, tombe le grand dessein sur la Louisiane et le Mississipi. Il n’a plus de prises sur l’Angleterre que par l’Europe ; il faut qu’il y prévienne les manœuvres de la politique anglaise et de la politique russe dont tout décèle le rapprochement. Il publie, le 11 septembre, la réunion du Piémont, disposée et annoncée depuis plus d’un an. Les Bataves réclament l’évacuation de leur république par les troupes françaises, l’occupation devant cesser avec la guerre à l’Angleterre. Ils se font appuyer par les Anglais et par les Russes. Bonaparte répond qu’il ne rappellera ses troupes que quand les Anglais auront exécuté le traité d’Amiens, et qu’il sera sûr qu’ils n’intriguent point à La Haye. Il invite les Bataves à se tenir en éveil, comme il s’y tient lui-même, « sur les dangers de tout genre que pourrait entraîner le départ subit des troupes françaises[1]. »

Ce danger est apparu en Suisse. Les troupes françaises qui occupaient cette république se sont retirées en juillet ; aussitôt l’anarchie y éclate ; aristocrates et démocrates, fédéralistes et unitaires se disputent le pouvoir, et les manèges des étrangers, Autrichiens, Anglais surtout, recommencent. Bonaparte ne les pouvait tolérer. Les Suisses tiennent une des clefs de l’Italie : qui veut dominer la Péninsule et gouverner la Cisalpine doit être maître du Piémont et assuré des Cantons. C’est un motif pour l’Angleterre de s’y faire des amis, d’y élever quelques barricades et de rompre les passages. La Suisse est, pour les agens anglais, un théâtre classique d’espionnage et de complots, admirablement dressé pour surveiller l’Italie, l’Allemagne du Sud, la France de l’Est, relier les mécontens, semer des manifestes, lancer des émissaires.

Bonaparte connaît l’importance de ce poste ; il se rappelle Wickham, les conspirations qui, de 1794 à 1799, ont menacé la Franche-Comté, et tout ce qu’il a fallu d’efforts à Masséna pour nettoyer cette frontière. « Quant à la Suisse, écrit-il à

  1. Talleyrand à Sémonville, 9 janvier 1803.