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Prusse sera nantie, le revirement s’opérera, et ces cours songeront à tirer des compensations et accroissemens que leur a procurés leur paix avec la France, les moyens de reprendre à la France les territoires qu’elle leur a si largement payés. Les Prussiens louchent toujours vers le Bas-Rhin, la Hollande même et la Belgique ; l’Autriche n’a pas cédé la Belgique sans l’arrière-pensée de la recouvrer, au moins pour la revendre ; elle pense et pensera désormais sans cesse à réunir la Lombardie, qu’elle a eue, à Venise, qu’elle a prise en échange, et à s’étendre sur les Légations, qu’elle convoite depuis que la République en a dépouillé le Pape et les a ainsi jetées dans le trafic européen ; elle y songe, ainsi qu’au temps de Marie-Thérèse, prenant toujours et abhorrant toujours « le partage inique, si inégal ! »

« M. Philippe Coblenzl s’est fait jouer une seconde fois comme un enfant, ainsi qu’il l’avait fait par Haugwitz au second partage de la Pologne, » écrivait, à propos du traité de compensation en Allemagne, Thugut, relire, mais non désintéressé des affaires. Il ajoutait, remontant au traité de Lunéville : — On ne nous a jamais laissé aucune possibilité de paix en dehors de ces deux conditions : rompre avec nos alliés, consentir à la cession de la rive gauche du Rhin. « Je n’ai jamais eu, moi, personnellement, le courage de conseiller à Sa Majesté de se soumettre aveuglément à des conditions aussi funestes qu’avilissantes. » Cobenzl se console en ménageant l’avenir ; « Nous devons, écrit-il, inspirer le plus de confiance possible à la République italienne, et, quand nous y serons parvenus, en faire usage pour favoriser sous main leur inclination à se rendre de jour en jour moins dépendans des Français, pour autant que nous le pourrons sans donner d’ombrage à Bonaparte[1]. » Tandis que le vieux boute-feu des coalitions et des partages de 1792 à 1799, Thugut, condamne ainsi l’œuvre de Lunéville, le futur meneur des coalitions et des partages de 1805 à 1815, Metternich, qui entre dans la carrière, pose déjà les combinaisons qui rompront une paix « aussi funeste qu’avilissante. » « Nous sommes loin, écrit-il en novembre 1801, de voir rétablir l’équilibre européen et, avec lui, le repos général. Il faut que l’extension extraordinaire de la France subisse des modifications. Bien arrondis, nous entrons

  1. Thugut à Colloredo, 23 janvier 1803. — Ph. Cobenzl à Colloredo, 31 mai 1802. — Instructions de Metternich pour la légation de Dresde, novembre 1801, écrites par lui-même.