Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communément, si le sujet anglais payait plus à l’Etat, il gagnait davantage. La crise qui commence ne provient que de la paix. L’Angleterre ne peut, sans se ruiner, exécuter le traité d’Amiens. De sorte que, la paix apparaissant comme de plus en plus désastreuse, la violence des intérêts ranime la vieille rivalité, à peine étouffée, nullement éteinte. Elle se réveille comme au temps de la lutte pour la merluche et le Canada. C’est un thème inépuisable pour les opposans, un programme populaire pour le gouvernement de demain ; un programme à longue échéance, un gouvernement de longue durée, aussi durable que sera le pouvoir de Bonaparte et, par ce pouvoir, la prospérité de la France. Plus la France paraîtra riche et puissante, plus l’Angleterre se jugera lésée et menacée. Ce n’est pas, en réalité, pour « délivrer » le continent, qui n’a jamais été libre, pour « affranchir » les peuples, dont l’indépendance lui importe peu si leurs maîtres ouvrent leurs ports, que l’Angleterre va entamer celle lutte sans merci : c’est pour arracher à la France cette magnifique étendue de côtes, les embouchures de tant de fleuves, les chantiers de tant de vaisseaux, les entrepôts de tant de produits, le marché de tant de denrées, et pour imposer, par les canaux de la Hollande, par le Rhin, par l’Escaut, par la Méditerranée, le monopole de l’industrie et du commerce britanniques.

Mais les combinaisons de la guerre sont limitées et définies. Celles de la guerre pour le commerce seront les mêmes que, sous Louis XV, celles de la guerre pour les colonies : les diversions continentales. C’est par le continent que la France menace l’Angleterre, qu’elle l’isole, qu’elle prétendra la bloquer et l’affamer. Le remède se tire du mal même. Il faut lier la France au continent, il faut la contraindre à se dissoudre par son extension même, à se ruiner par la conquête continue. Elle n’est point de taille à faire double irruption, à la fois par les côtes et par les frontières de l’Est. Avant que sa marine soit en état de prendre la mer, la guerre de terre suspendra toutes les réformes de l’Etat, et la mer demeurera libre pour les Anglais. Découragée des coalitions, désabusée des subsides après la paix de Lunéville, l’Angleterre y revient, à mesure qu’elle discerne, à Vienne, à Pétersbourg, contre la paix de Lunéville, les mêmes griefs, les mêmes mécontentemens qui se manifestent à Londres contre la paix d’Amiens. Dès que le marché des abbayes et des villes libres sera clos et que l’Autriche aura son lot, que la