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même de rivaliser avec les manufactures anglaises. » Andréossy devait surveiller de très près tout le mouvement du commerce, des fabriques, des banques en Angleterre. Il devait enfin provoquer l’expulsion des princes de la maison de Bourbon, de Georges et de ses amis, des évêques non démissionnaires, bref de tous les réfugiés et émigrés hostiles à la République et au Premier Consul.


II

Andréossy ne partit point. Les Anglais n’annonçaient pas le départ de leur ambassadeur, et les rapports d’Otto, les extraits de gazettes ouvraient de moins en moins d’espérances à une reprise de rapports réguliers et pacifiques. Les ministres, avec une certaine discrétion, les gazettes, en termes fort libres et de plus en plus violens, se plaignaient de tout, récriminant sur le traité et sur ses conséquences. Bonaparte y faisait répondre, par ordre, dans le Moniteur, et du même style, employant à cette polémique, où parfois on reconnaît sa griffe, la plume toujours officieuse de Barère, qui sortait de ses tiroirs ses carmagnoles de l’an II et les transposait du ton qui convenait au pontificat de Robespierre au ton du consulat de Bonaparte. En fait de liberté de presse, le Premier Consul ne s’éleva jamais au-dessus des idées d’un Jacobin de 1793 et d’un fructidorien de 1797 ; il n’admettait pas qu’un pays étranger eût des lois différentes de celles de la République française, ni que les convenances de la politique française ne fussent point, pour les étrangers, la règle des libertés publiques. A ses réclamations, les ministres anglais objectaient leur législation, c’est-à-dire, leur indépendance, et les immunités d’une presse dont ils étaient les premiers à subir les attaques ; puis ils réclamaient contre les diatribes du Moniteur, qui, disaient-ils, n’est dirigé que par le bon plaisir du Consul et dont le Consul, par suite, est l’éditeur responsable. D’où le conflit le plus insoluble, le débat le plus mal posé du monde : chacun exigeant de l’autre qu’il change de caractère et de génie, sacrifie ce qu’il juge être sa dignité, abroge ses lois, renonce à ses coutumes. « Le gouvernement français, disait Hawkesbury, doit avoir conçu une idée bien fausse du caractère de la nation anglaise, s’il imagine que nous puissions consentir à violer les droits sur lesquels reposent nos libertés. »

Les « réfugiés » ne s’en tenaient point aux épouvantails de