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florentins du XVe siècle aient eu tous l’âme dépravée d’un César Borgia. Ils avaient simplement plus de goût que leurs descendans d’à présent, une vie plus ornée, plus remplie, et, sans doute, plus heureuse.


Quant à la partie spécialement « phrénologique » des réflexions de M. Mœbius, on doit noter d’abord qu’elle échappe au principal reproche mérité jadis par le système de Gall. Celui-ci avait le tort de nier dans l’homme toute personnalité, en réduisant notre vie morale à une simple combinaison d’instincts irrésistibles ; tandis que nous pouvons fort bien admettre, avec M. Mœbius, que nos sentimens artistiques résultent chez nous d’instincts innés, sans que la conscience que nous avons de notre personnalité en soit diminuée. Et ce n’est pas tout. Ces instincts eux-mêmes, si forts qu’on les suppose, laissent encore une part considérable à la liberté. Parmi les nombreux peintres et musiciens sur le crâne desquels Gall a découvert des « bosses » exceptionnellement développées, il y en a beaucoup dont M. Mœbius ne parvient plus même à savoir qui ils ont pu être. Leur sens artistique inné, évidemment, ne les a pas menés loin. Et je ne puis m’empêcher de penser que ce sens artistique, à supposer qu’il existe vraiment, doit en somme se réduire à bien peu de chose. Il donne la possibilité de peindre, ou de composer de la musique, de même que nos yeux nous donnent celle de voir ; mais reste encore, après cela, à bien peindre et à bien composer : ce sont choses infiniment difficiles, que n’apprennent ni les bosses du crâne ni l’hérédité. La phrénologie de l’avenir déplacera peut-être le mystère de la création artistique, jamais elle ne parviendra à le supprimer. C’est ce que déjà avait compris Gœthe, lorsqu’il disait que, si loin qu’on pût aller dans l’analyse du talent musical, « une apparition comme celle de Mozart demeurerait toujours un miracle. »


T. DE WYZEWA.