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qu’occupe aujourd’hui l’Académie des Beaux-Arts. La gaieté de la couleur et la vivacité de l’exécution sont ici délicieuses.

De part et d’autre, des murailles d’un rose doré ou d’un brun chaud s’opposent à un ciel bleu paie où flottent quelques légers nuages d’un bleu plus sombre, que la brise de mer chasse devant elle et va bientôt disperser. Dans ces tonalités claires s’encadre au centre et dans l’ombre la masse plus intense d’un petit canal tranquille avec ses gondoles et de l’autre côté une église et son campanile, un pont et des maisons avec le désordre piquant de leurs aménagemens familiers. Au premier plan, en plein soleil, l’atelier d’un carrier et ses hangars où des ouvriers sont en train de sculpter un chapiteau et de tailler des blocs de pierre ou de marbre, sous l’œil du patron. Des enfans jouent près de là et une femme s’empresse pour relever l’un d’eux qui vient de tomber ; d’autres femmes vaquent au soin de leur ménage ; des loques pendent aux fenêtres ou sèchent sur des cordes ; tout cela vivant, brillant, d’une facture très animée, et à distance d’une tenue superbe, un vrai régal pour les yeux et certainement un des chefs-d’œuvre du maître. Celle facilité, cet entrain spirituel, nous les retrouvons dans ses eaux-fortes, Vedute prese da i Luoghi, ossia ideate, faites d’après nature ou qui représentent, groupés suivant son caprice, des détails empruntés à la réalité. D’un travail simple, peu chargé, avec leurs ciels indiqués à peu de frais, leurs constructions pittoresques et leur amusant pôle-môle, les meilleures de ces eaux-fortes : Mestre, Santa Giustina, Prà della Valle, Torre di Malgherra, etc., nous offrent les contrastes imprévus, ce sens de l’effet, et de la vie qui éclatent dans les tableaux du peintre. Son neveu, Bernardo Bellotto dit Canaletto, né en 1720 à Venise et qui fut aussi son élève, devait, avec un peu plus de sécheresse, continuer ses traditions dans les diverses cours de l’Europe où l’entraîna successivement son existence nomade : à Vienne, à Varsovie, à Dresde et de nouveau à Varsovie, où il revenait mourir le 17 octobre 1780, avec le titre de peintre du roi de Pologne.

Francesco Guardi, un autre disciple d’Antonio Canale, né à Venise en 1712, restait plus fidèle à sa ville natale qui lui fournit jusqu’à la fin de sa carrière, en 1793, ses meilleures inspirations. Dans ses tableaux, en général de dimensions assez restreintes, son pinceau est plus alerte, plus léger que celui de son maître, et dans sa couleur, moins abondante, les lumières sont indiquées