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que dans ses dessins il arrive à colorer avec un crayon ou une plume de roseau. En tout cas, le pinceau à la main, c’est avec lui qu’il dessine, qu’il modèle et qu’il colore, exprimant partout et généreusement la vie dans ses acceptions les plus variées, donnant à la représentation des sujets les plus pathétiques ou même des inventions les plus fabuleuses de la mythologie un caractère de vraisemblance tel qu’il semble les avoir sous les yeux en les peignant.

La vieillesse était venue ; elle avait laissé intactes les merveilleuses facultés de Titien en même temps que son ardeur au travail. Entouré du respect de tous, il conservait, au milieu des plus hautes faveurs de la fortune fit de la gloire, sa bienveillance accueillante et la noble simplicité de ses manières. La mort le surprenait à son chevalet, appliqué à sa tache habituelle. Il touchait à sa centième année quand le 27 août 1576 il était enlevé par la peste qui exerçait en ce moment à Venise ses terribles ravages. En dépit de ces tristes circonstances, la dépouille de Titien fut conduite en grande pompe à l’Eglise des Frari, où mieux encore que le somptueux monument sous lequel il repose, la Vierge de la famille Pesaro, un de ses plus beaux ouvrages, proclame la grandeur de son génie.

Le temps n’a fait que consacrer la gloire du Titien, en montrant l’influence vivace qu’à travers les âges il devait exercer sur les artistes les plus divers, sur un Rubens qui, non content d’admirer et de collectionner ses œuvres, ne se lassait pas de les copier ; sur les Carrache, sur Poussin, sur Watteau et sur Gainsborough, qui ont tour à tour subi son ascendant. Après lui d’ailleurs, aucun autre dans l’école vénitienne n’a ou son universalité, ni atteint sa maîtrise. Le paysage qui, si important qu’il soit chez lui, ne représente cependant qu’une des faces de son talent, devenait un genre spécial chez un de ses disciples, Domenico Campagnola, dont les dessins sont souvent confondus avec les siens, malgré leur infériorité bien marquée. S’inspirant de la même contrée, il y a recherché les mêmes motifs, mais il cède trop souvent à la tentation d’introduire dans ses œuvres les singularités que lui offre la nature. Sans trop s’inquiéter de leur opportunité, il multiplie les détails pittoresques les plus étranges. Aussi ses compositions très répandues par les graveurs de cette époque nous laissent-elles aujourd’hui assez indifférens. On y voit déjà poindre les procédés de l’école académique et le