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si intimes avec ces sujets qu’on ne saurait les en distraire.

L’Antiope du Louvre, la Bacchanale et l’Offrande à la fécondité du musée du Prado et bien d’autres œuvres du Titien attestent la richesse, la variété et l’ampleur qu’il a su mettre dans ses compositions mythologiques. A voir avec quelle facilité il s’assimile les données les plus diverses de la Fable, on dirait qu’il a vécu avec les dieux et les héros des légendes antiques. Un merveilleux dessin que possède de lui M. Léon Bonnat nous fait pénétrer à sa suite dans une contrée plantureuse et pittoresque, hantée par les satyres. A côté de belles figures de femmes réservées à leurs cyniques plaisirs, ces êtres bizarres vaquent à toutes les menues occupations de leur existence impudente et sauvage. En voici un qui ramène les boucs de pâture ; deux autres, dans un coin, devisent avec leurs belles ; un quatrième grimpe avec agilité au tronc d’un arbre chargé des fruits qu’un de ses compagnons s’apprête à recevoir dans le tablier dont il est ceint. Vous croiriez, tant les détails sont précis, plausibles et saisissans, que l’artiste a été témoin de cette scène familière et qu’avec sa maîtrise et sa verve habituelles, il n’a eu qu’à en tracer, au courant de sa plume, la copie fidèle. Mais nulle part la magnificence de ses inventions n’apparaît avec plus d’éclat que dans ce Bacchus et Ariane de la National Gallery, où, autour du groupe principal, Titien a accumulé toutes les splendeurs de la nature évoquées par sa puissante imagination. Du char en or massif auquel sont attelés deux léopards frémissans et qu’entoure le cortège bruyant des nymphes, des faunes et des satyres, le dieu éblouissant de jeunesse et de passion s’élance vers Ariane, au milieu d’un paysage enchanteur. Parmi ces campagnes fertiles et ces rivages aux gracieuses découpures, tout respire la joyeuse expansion d’une vie débordante. Sous l’azur profond du ciel se déroulent les vastes perspectives de côtes fuyantes semées de rochers, d’ombrages épais, d’anses sinueuses où vient mourir en un ourlet d’argent le flot paresseux. Des ancolies, des iris, des jacinthes et des anémones égaient les gazons et, au premier plan des guirlandes de vignes embrassent amoureusement les troncs d’arbres élancés. Où que le regard se porte, ce ne sont qu’images radieuses et harmonies étincelantes. L’or du char et le pelage doré des fauves donnent tout leur prix aux bleus veloutée du ciel, des montagnes et de la mer, rehaussés encore çà et là par le rose tendre ou la pourpre ondoyante d’une