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saints juxtaposés, fixés eux-mêmes dans des attitudes rigides. Avec lui, ces images hiératiques s’attendrissent et s’humanisent. La Vierge quitte son trône ; elle sort des sanctuaires aux architectures compliquées pour se mêler familièrement aux hommes. La voici dans la Présentation au Temple (Académie des Beaux-Arts à Venise) tout enfant, timide et ingénue, qui gravit les degrés du temple, au haut desquels le grand prêtre, marchant à sa rencontre, la rassure avec bienveillance. Une vieille marchande est accroupie au pied des marches, et près de là, un groupe de Vénitiens graves et recueillis contemple la scène à laquelle un paysage largement ouvert prête le charme de ses tonalités magnifiques et de ses vastes horizons. Dans les Saintes familles (musées du Louvre et de Vienne) et en particulier dans notre Vierge au lapin peinte en 1530, la jeune mère, par une belle journée, est venue se reposer dans une riante prairie avec le petit Jésus auquel une jeune sainte, gracieusement agenouillée, présente un lapin d’une blancheur éclatante. Près de ce groupe délicieux, une corbeille entr’ouverte, posée sur l’herbe, laisse voir le goûter frugal apporté pour l’enfant : une pomme et une grappe de raisin mûr. Au milieu de ces campagnes riantes, des eaux vives forment une cascade, et un massif de grands arbres, déjà dorés par l’automne, encadre les cimes bleuâtres des montagnes lointaines. Dans le gazon dru, des touffes de violettes poussent çà et là à côté de fraises qui rougissent et de mauves aux pétales transparens et finement nuancés. Une impression de tendresse et d’intime sérénité se dégage de cette scène familière dans laquelle tous les détails sont touchés d’un pinceau souple et délicat. La tonalité pleine et harmonieuse, l’exécution attentive, à la fois large et très précieuse, montrent le soin qu’a mis l’artiste pour donner à son œuvre toute la perfection dont il était capable, comme s’il voulait, lui aussi, à toutes ces offrandes de la nature apportées à la madone, joindre l’hommage du meilleur de son talent.

Mais les sujets religieux ont fourni à Titien des épisodes plus sévères ou plus dramatiques ; soit qu’il nous montre, dans le silence et les clartés voilées de la nuit Saint Jérôme (musée du Louvre) au milieu d’une contrée abrupte et sauvage, implorant le ciel contre les tentations qui viennent encore assaillir son indomptable vieillesse ; soit que dans sa pleine maturité, vers 1528-1530, il peigne un de ses chefs-d’œuvre, ce Martyre de