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l’art du mosaïste dont Sébastien Zuccato lui enseignâtes élémens, il prit l’habitude de cette ampleur décorative qu’il manifestait dans les fresques du Fondaco de’ Tedeschi, exécutées en collaboration avec Giorgione, et qu’on remarque dans tout son œuvre. Les enseignemens qu’il reçut ensuite de Gentile et de Giovanni Bellini lui permirent bientôt d’y joindre le fini précieux de l’exécution qui distingue ses premières productions, le Christ à la Monnaie (galerie de Dresde) par exemple. Mais plus encore que l’influence de ces maîtres, celle de Giorgione son jeune camarade et émule, devait agir sur son développement. Comme lui, il aimait passionnément la nature et en même temps qu’il en comprenait la grandeur, il en admirait aussi les moindres détails. Une des œuvres de sa jeunesse, le célèbre tableau de la galerie Borghese, connu sous le nom de l’Amour sacré et l’amour profane, atteste à la fois cet amour de la nature et cette action profonde que Giorgione avait exercée sur lui. Il n’est pas jusqu’à l’indécision même du sujet qui, dans cette œuvre charmante, ne révèle les analogies qu’offrent au début le talent et le goût des deux artistes. Mais ce ne fut là qu’une période momentanée dans la longue existence du peintre de Cadore. Plus ouvert, plus fécond, servi par un tempérament plus vigoureux, son génie devait suffire à une des carrières les plus remplies et les plus glorieuses que l’art ait connues. A la poésie de Giorgione, il joint, en effet, une diversité et une richesse de production tout à fait merveilleuses. Prenant toujours son point d’appui dans l’étude directe de la réalité, il arrive vite à en dégager les traits significatifs, ceux qui répondent le mieux à son idée et au caractère de l’épisode qu’il veut traiter. Ses voyages, ses lectures, sa curiosité, ses relations avec les grands de ce monde, aussi bien qu’avec les savans et les lettrés les plus en vue, sans entamer son originalité, n’ont fait qu’étendre son esprit, élargir encore les limites du vaste domaine où il se meut à l’aise, montrant en tout sa maîtrise, imaginant, comme sans effort, la forme vivante que doit revêtir sa conception. C’est par le sens du pittoresque et de la vie qu’éclate surtout son originalité ; c’est grâce à lui qu’il renouvelle tous les sujets qu’il aborde.

Avant Titien, dans l’école vénitienne, les madones que peignaient ses prédécesseurs nous apparaissent austères, inertes, parées comme des châsses sur leurs trônes qu’entourent quelques