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fondre sur elle. Comme l’a fait observer M. Leitschuh[1], l’explication du sujet est, sans, doute, plus simple et moins subtile. Si le nom du tableau est exact, et, ainsi que j’ai pu le constater, le paysage reproduit, en effet, assez fidèlement les abords de Castelfranco tels qu’ils nous ont été conservés, c’est l’artiste lui-même qu’il faudrait reconnaître dans ce jeune gars de fière tournure[2] veillant sur sa femme, alors que, par une journée d’orage, celle-ci est venue chercher la fraîcheur d’un bain en ce lieu retiré. Son nourrisson déposé près de là dans l’herbe s’étant réveillé, la mère calme en hâte son appétit, et, séduit par le spectacle de cette idylle familière, le peintre a voulu en conserver le souvenir.

La composition des Astronomes (musée de Vienne) a soulevé des interprétations encore plus laborieuses et plus compliquées, et les divers titres : les Philosophes, les Géomètres, les Trois Mages, etc., qu’on a successivement proposés pour elle, montrent assez que le sujet n’en est pas très nettement défini. Les attitudes et les costumes des trois personnages prêtent, il est vrai, à la confusion. Comme dans la plupart des œuvres de Giorgione, ceux-ci ne sont reliés entre eux par aucune action commune, et, tandis que l’un d’eux, tenant en main une équerre et un compas, considère attentivement le soleil dont le disque est sur le point de disparaître derrière une colline, les deux autres lui tournent le dos. Faut-il voir là, comme on l’a dit, un contraste entre la science moderne et celles de l’antiquité et du moyen âge, moins scrupuleusement attachées à l’exacte observation des phénomènes ? La pensée serait par trop raffinée et certainement peu conforme aux idées de l’époque. Ou plutôt Giorgione, ainsi qu’on l’a prétendu, aurait-il voulu montrer que ce coin écarté et favorable au recueillement peut également allier à l’intérêt de recherches scientifiques celui de la beauté pittoresque ? On disserterait longtemps sur les intentions de l’artiste sans grande chance d’aboutir à une affirmation positive. Il nous paraît préférable d’admirer, comme il convient de le faire, le charme de ce vallon fermé aux bruits du monde et dans lequel, avec le jour

  1. Das Wesen der modernen Landschaftsmalerei, par F. Leitschuh, 1 vol. Strasbourg, 1898.
  2. L’auteur de la statue de Giorgione élevée sur un îlot dans les fossés mêmes de l’enceinte de Castelfranco, s’est inspiré de ce tableau pour le costume et le type qu’il a donnés à l’artiste.