Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/817

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été conservées ne dénotent pas une grande habileté, les deux albums de dessins que possèdent le Louvre et le British Muséum, tout remplis de croquis de monumens antiques, d’animaux, de plantes et de problèmes de perspective, témoignent, en revanche, de son insatiable curiosité. Ses deux fils, nés à un an de distance (vers 1427-1428), à Venise ou à Padoue, étaient donc à bonne école. Chargé par la Seigneurie de décorations importantes au Palais ducal, l’aîné de ces fils, Gentile, dut interrompre son travail pour aller en Orient, où, sur la demande faite par Mahomet II, qui désirait avoir à sa cour un artiste de talent, la République de Venise l’avait envoyé (août 1479) à ses frais, avec deux aides. Quand il en revint, au bout d’un an, très largement rémunéré par le Sultan, il rapportait avec lui de nombreuses études faites pendant son séjour qui lui servaient ensuite à l’exécution de quelques tableaux peints par lui ou par ceux de ses élèves qui l’avaient accompagné dans son voyage, la Prédication de saint Marc à Alexandrie (musée Brera) ou la Réception d’ambassadeurs anglais à Constantinople (musée du Louvre). Il convient de signaler la première apparition dans l’art de ces paysages exotiques qui devaient y prendre une place considérable. Sans offrir les contrastes d’ombre et de lumière qui en feraient aujourd’hui le principal mérite, la tonalité générale y est déjà très claire, et les monumens — coupoles, minarets, murailles dentelées, portes de villes et maisons avec terrasses — y sont très fidèlement reproduits. Quant à la végétation orientale, c’est d’une façon assez primitive, il faut le reconnaître, qu’elle a été traitée par l’artiste. L’architecture, d’ailleurs, était mieux son affaire que le paysage pur et dans les décorations, aujourd’hui détruites, qu’il continuait à peindre au Palais ducal avec la collaboration de son frère, aussi bien que dans les compositions telles que celles qui lui furent commandées pour la Scuola di San Giovanni et qui représentent les Miracles de la Sainte Croix (aujourd’hui à l’Académie de Venise), il nous a laissé des aspects absolument exacts de la place Saint-Marc et des petits canaux de Venise à cette époque, avec leurs maisons aux façades décorées de fresques, leurs cheminées évasées, leurs gondoles et la diversité brillante des costumes du clergé, des seigneurs et des dames parées qui se pressent sur les quais, tout cela indiqué d’une touche précise et un peu sèche.

Avec un talent supérieur et un esprit plus ouvert, Giovanni,