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l’être pluricellulaire, il faut en outre que chaque partie ressente à quelque degré ce qui arrive aux autres et qu’elle réagisse de concert avec les autres. Chez les êtres de ce genre, tout développement exagéré ou toute insuffisance d’un organe compromet la vie de l’ensemble. Aussi les animaux sont-ils d’autant plus forts que la synergie est plus considérable dans l’intimité de leur organisme.

Pour réaliser cette synergie, il faut que les parties s’ajustent continuellement au tout, le tout au milieu extérieur. Cette double adaptation n’entraîne que secondairement et accessoirement la lutte. L’ « équilibre mobile, » qui constitue la vie, est une concordance d’élémens associés et, par conséquent, quoi qu’en puissent dire les partisans de Hobbes et de Nietzsche, il rentre sous l’idée d’union, non de division. La persistance du type, qui est la seconde caractéristique de la vie, et où les oppositions éventuelles avec l’extérieur ne sont qu’un moyen de développement interne, est un accord constant avec soi et avec toute la race, dans le passé, dans l’avenir. L’idée d’organe est celle d’un concert de phénomènes simultanés ; l’idée de fonction est celle d’un concert de phénomènes successifs. L’atrophie, le dépérissement, la mort sont partout la conséquence du désaccord. Physiologiquement, la vie est une série de mouvemens solidaires, supposant des organes solidaires, eux-mêmes réductibles à des cellules solidaires, à une société de cellules. De tout cela il résulte que l’idée de vie est inséparable de l’idée d’association ; et, comme toute harmonie d’êtres associés, pour peu qu’elle soit consciente et volontaire, devient moralité, nous avons le droit de conclure que les notions de vie, de société et de moralité recouvrent une identité profonde. C’est l’école française qui a raison contre les écoles anglaise et allemande. La lutte n’est, pour la philosophie française, qu’un mal dérivant des limites de la vie, des obstacles à la vie ; elle n’est pas, comme le soutiennent la plupart des philosophes anglais et allemands, l’essence même du vivre. Sous tous les rapports vraiment essentiels, l’idée de vie est celle d’un accord en voie de réalisation.

L’harmonie vitale ne tend pas seulement à s’établir entre les divers hommes ; même chez les animaux, nous l’avons prouvé, la vie dépasse le moi, et elle le dépasse d’autant plus que les animaux sont plus parfaits, d’abord en organisation individuelle, puis eu organisation sociale. Loin d’être, comme se l’imaginent