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LA MORALE DE LA VIE
CHEZ LES ANIMAUX

Pendant que les philosophes dissertent, a dit Schiller, la faim et l’amour mènent le monde. Qu’est-ce que la faim et l’amour, sinon les deux principes essentiels de ce que le moraliste appelle l’égoïsme et l’altruisme ? Les plus récentes découvertes de la science ont apporté de nouvelles lumières sur la nature, le rôle, la relation réciproque de ces deux moteurs universels. La question est capitale non seulement pour la biologie, mais aussi pour la sociologie et la morale. En Allemagne, toute la lignée de philosophes qui devait aboutir à Nietzsche, en Angleterre, tous les disciples plus ou moins fidèles de Darwin ont prétendu que la faim insatiable, avec l’insatiable besoin de tout s’assimiler et de tout dominer, était la caractéristique même de ce qu’on appelle vivre. Les philosophes français, au contraire, avec MM. Espinas, Guyau, M. Tarde, M. Durckeim, — nous-même et d’autres encore, — n’ont cessé de protester contre la théorie qui ramène la vie entière à l’égoïsme et à la lutte.

Si la morale de la force était la seule naturelle et la seule vraie, c’est avant tout aux animaux qu’elle devrait s’appliquer. Leur « éthique » devrait être purement et simplement la concurrence universelle pour la vie, avec le droit du plus fort. Il importe donc d’examiner si l’étude de l’animal confirme cette hypothèse ou si, au contraire, on voit déjà apparaître, dans le monde inférieur à l’homme, une première aube de la moralité