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à midi (10 mars), je sache à quoi m’en tenir, car, comme il paraît que les Anglais ont donné des ordres d’armer à Plymouth, il est convenable que je puisse prendre des précautions pour nos flottes. » Ce jour-là, il refusait encore de comprendre la Turquie dans le traité, tout en y insérant la garantie de l’intégrité de cet empire. Le lendemain, il consentit à écrire : « La Sublime Porte est invitée à accéder au présent traité, » et il ajouta : « Je vous donne toute la latitude convenable pour signer dans la nuit. Faites donc tout ce qu’il est possible pour terminer, et signez… ». « Si le courrier qui apportera la nouvelle, arrive à Paris le 10, avant neuf heures, il aura six cents francs. »

Mais la journée du 10 s’écoula sans nouvelles. Le 11 mars, à cinq heures du soir, rien n’est encore arrivé d’Amiens. Il est venu, au contraire, des rapports d’Otto, de Londres, datés du 6 et du 8 mars : l’opposition a incriminé les ministres au Parlement ; des ordres d’armement ont été envoyés dans les ports ; les journaux sont violens ; ils publient une lettre d’un des négociateurs d’Amiens, Merry, qui accuse Bonaparte de ne pas vouloir la paix, Hawkesbury, interrogé, a répondu que les négociations ne pouvaient se traîner plus longtemps, que le gouvernement était obligé de prendre des précautions. « Il est de mon devoir d’ajouter, écrit Otto, que l’opinion des hommes les plus influens et les mieux instruits est qu’il est impossible que la guerre ne recommence dans dix jours, à moins que le traité définitif ne soit signé dans cet intervalle. »

Bonaparte sent tous les fils se tendre dans ses mains. Il en est aux tiraillemens, aux soupçons, même graves, avec Markof. La Russie se dérobe, tourne à l’aigreur, aux remontrances : les menaces s’annoncent. On parle de complots dans l’armée. Le Premier Consul, engagé dans une affaire compliquée d’épuration du Tribunat et du Corps législatif, de transformation de ses pouvoirs, ne peut y réussir que sur un coup de prestige.

Les retards de la paix le compromettent. Mais il comprend, ainsi qu’il l’a dit des Anglais, qu’il faudrait, pour se rejeter dans la guerre, « être pris d’un esprit de vertige. » Aussi fait-il grand état de ses arméniens ; en réalité, il n’est pas prêt et ne se prépare même pas. Il se contente d’éperonner, à Londres, Otto, à Amiens, Joseph. « Le moindre retard est préjudiciable et peut être d’une grande conséquence pour nos escadres et nos expéditions maritimes. » Il demande deux courriers par jour, par inquiétude,