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cherchent un refuge dans une incorporation avec une grande puissance continentale, Sa Majesté Britannique se refuse donc aussi le droit de s’en plaindre.


Il terminait par ces mots, gros d’avenir et qui rappellent ses déclarations à Cobenzl, lorsque, à Lunéville, l’Autriche se dérobait encore : « Ne considérerait-on la paix que comme une trêve ? Perspective affligeante, décourageante pour l’homme de bien, mais qui aurait pour effet infaillible de produire des résultats que l’on ne saurait calculer. » Talleyrand ajoutait ce commentaire significatif : « Nous sommes faciles sur tous les points, mais ce n’est point par crainte. Je vous envoie le Moniteur, qui vous portera des nouvelles de l’arrivée de la flotte à Saint-Domingue… Finissez, finissez donc[1] ! »

Mais on ne finissait pas, bien que l’arrivée de Leclerc à Saint-Domingue enlevât aux Anglais un appoint redoutable. On disputa sur les notes présentées par Joseph, et une semaine s’écoula encore en protocoles dilatoires, allées et venues de courriers entre Amiens et Paris. Le 6 mars, un projet approuvé par Bonaparte fut communiqué à Cornwallis : il se composait des articles des préliminaires auxquels s’ajoutaient ceux que l’on avait formellement convenus à Amiens. Cornwallis produisit un contre-projet sur Malte. La conférence dura près de sept heures. Cornwallis ne cacha point que « ses instructions étaient beaucoup plus précises depuis quelques jours, et qu’on lui laissait beaucoup moins de latitude. » Les ministres, ajouta-t-il, lui avaient adressé un projet d’article sur l’indemnité du prince d’Orange, qu’il ne remettait même pas, par esprit de concilia-lion : ou y faisait le procès à la Révolution française.

Bonaparte perdit patience. Il se flattait d’avoir la paix le 10 mars et de la publier en même temps que le Concordat : cette convention était enfin pourvue de son passeport près des grands corps de l’Etat, les articles organiques, mais il ne voulait la présenter aux républicains que dans ce cadre magnifique : la paix européenne dans les limites de César. « Si lord Cornwallis est de bonne foi, la paix doit être signée avant le 19 ventôse (10 mars), » écrit-il, le 8, à Joseph. Les Anglais sont donc pris de l’esprit de vertige ! « Si la paix n’a pas lieu sur-le-champ, je ne redoute pas la guerre. Expliquez-vous-en fortement, et que, le 19,

  1. A Joseph, 22 février 1802.