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rênes ; un Benjamin Constant avait droit d’espérer une tribune et des cabales parlementaires comme à Londres ; une Mme de Staël un salon qui deviendrait une cour de politique ; les généraux, une surveillance moins clairvoyante ; les idéologues, la direction du Sénat : tel Gaston d’Orléans, à la veille de la Fronde, entre Retz, Mme de Longueville, les Princes et Messieurs du Parlement.

Au dehors, tout à la paix, la paix facile et coulante ; insinuant que l’ambition de son frère décourageait seule la bienveillance de l’Europe ; flattant les diplomates étrangers, en réalité leurré par eux, mais caressé, enguirlandé, et pour les propos qui lui échappaient et pour le précieux instrument qu’il leur fournissait en sa personne. Qui plus est, entêté de l’Angleterre, par penchant naturel et aussi par attitude de candidat. Il croyait, ingénument, que si la France se montrait modeste, l’Angleterre, aussitôt, se montrerait désintéressée. Il ne doutait point, — c’était chez lui un article de foi, ou plutôt une superstition fondamentale, — que l’Angleterre consentît sincèrement aux « limites. » Ses amis, et, avec eux, les libéraux gardèrent cette illusion jusqu’en 1814. « Quand le général Bonaparte revint d’Egypte, écrit Mme de Staël, la Suisse, la Hollande et le Piémont étaient encore sous l’influence française ; la barrière du Rhin, conquise par la République, ne lui était point disputée… » Il ne fallut, en effet, pour seconder la bonne volonté des Autrichiens et les amener à Lunéville, que deux campagnes, Marengo et Hohenlinden ! Quant aux Anglais, il suffisait de ne les point contrarier en mer et aux colonies pour les réconcilier à jamais avec l’extension de la République ! Joseph se jugeait destiné à sceller cette belle réconciliation. « Les vagues, disait-il, en 1799, à un de ses amis, ont jeté notre famille sur le sol de la France ; nous ferons de grands sacrifices pour conserver notre fortune : l’alliance anglaise est notre premier désir ; unies, l’Angleterre et la France imposeraient la paix au monde. »

Le Premier Consul ne se payait point de ces chimères. Il prenait les choses au naturel. Ses instructions à Joseph sont parfaitement positives. Joseph poserait la griffe et tiendrait le protocole. Bonaparte mènerait tout, par Talleyrand, et Talleyrand rédigea, sous sa dictée, le plan de la négociation. — Les Anglais chercheraient vraisemblablement les moyens de réoccuper Malte sans coup férir, le jour où la guerre recommencerait. Ce fut une des principales préoccupations de Bonaparte