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Bien qu’à ma liberté, dans l’état où je suis,
La fortune ait rogné les ailes,
J’en conserve autant que je puis ;
Et, si notre grand roi Louis,
Payant de trop d’égards quelques jeux de ma veine.
A Versailles daignait m’offrir un logement,
Bien couché, bien nourri, vêtu superbement,
Pour peu qu’il y fallût de contrainte et de gêne,
Je dirais à Sa Majesté :
« Invincible héros en courage, en clémence,
J’adore vos vertus, votre magnificence
Et votre générosité :
Cependant rendez-moi, Sire, à ma pauvreté.
Au plaisir d’être à soi tout autre plaisir cède :
Heureux le cœur qui te possède,
O trésor des trésors, ô chère liberté ! »


Des Forges n’avait pas l’âme d’un courtisan, il n’en avait pas non plus les mœurs, si, dans cette même épître, il s’est peint exactement quand il dit :


Joyeux, triste, distrait, souvent trop ingénu,
Peu complaisant, trop vif, je n’ai pu me refaire :
Je cède à mon tempérament.


Enfin, malgré la dominai ion de la secte des encyclopédistes, si puissante alors dans le monde des lettres, notre poète professa toujours hautement, dans sa vie et dans ses œuvres, le respect de la religion. Ni bigot, ni incrédule, il était chrétien et il s’en faisait honneur[1] … »

Retenez bien cette dernière phrase : je n’oserais pas dire que M. de la Borderie l’a écrite en pensant à lui-même, mais, pour qui l’a connu, c’est son propre portrait qu’il a tracé là dans ces deux lignes lapidaires. Quant à Des Forges-Maillard, il semble que ce soit la seule figure littéraire du XVIIIe siècle qui ait attiré et retenu notre historien. Il est vrai que le XVIIIe siècle a laissé en Bretagne, comme à peu près partout, des souvenirs beaucoup plus politiques que littéraires, et que M. de la Borderie ne l’aimait pas. Le siècle qui avait ses préférences était le XVIe, et l’homme qui paraît l’avoir incarné à ses yeux fut Noël du Fail. En tout cas, il a consacré près de dix ans de son existence à faire des recherches sur sa famille, sur sa vie, sur ses œuvres et

  1. Revue illustrée de Bretagne et d’Anjou, 15 octobre 1888.