Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/684

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séminaire de Tréguier, mais quel meilleur moyen d’apprendre le français que de le mettre dans un dictionnaire entre le breton et le latin ? Il y eut aussi des imprimeurs dans la petite cité bretonne de Lautréguier, de 1484 à 1513, et vers 1485 un bourgeois de Rennes, nommé Jean Hus, fit venir de Poitiers dans cette ville Bellesculée, qui imprima, à Rennes, trois livres français. C’est de là probablement que, sept ans plus tard, vint s’établir à Nantes un ouvrier typographe appelé Etienne Larchier, lequel débuta par fabriquer des lunettes pour Charles-Quint, le duc de Bretagne et autres princes[1]. J’entends qu’il imprima les Lunettes des princes du poète Jean Meschinot, dont Marot disait :


Nantes la Brete en Meschinot se baigne.


La première édition des Lunettes est de 1493 et forme deux parties in-4o. Mais elles circulaient depuis longtemps en feuilles volantes à la cour de François II, dernier duc de Bretagne, quand elles furent moulées en caractères gothiques, et la bibliothèque de Nantes en possède un beau manuscrit qui doit avoir appartenu à Meschinot lui-même. On pense bien que M. de la Borderie s’occupa de ces Lunettes[2]. D’abord elles parurent à une heure décisive de notre histoire provinciale. La Bretagne était encore duché, mais elle faisait déjà partie de la France, depuis le mariage de la duchesse Anne avec Charles VIII.

La cour de Bretagne n’était plus à Nantes, elle était à Blois, et le renom de Meschinot dépassait de beaucoup les limites naturelles de sa province. Il était en relations suivies avec tous les rhétoriqueurs, dont George Chastelain, qui lui envoyait des refrains ou princes pour ses ballades, et Jean Lemaire de Belges, qu’il faisait imprimer chez Etienne Larchier à Nantes, pour mieux lui marquer son admiration ; et, quelque dédain qu’on lui témoigne de nos jours, on est bien forcé de reconnaître qu’il tint une grande place dans le mouvement littéraire compris entre la fin du XVe siècle et le premier quart du XVIe. Cependant M. de la Borderie, qui était poète à ses heures, avait trop de

  1. Sur les origines de l’imprimerie en Bretagne, consultez l’ouvrage publié de 1880 à 1885 par M. de la Borderie, sous le titre : Archives du bibliophile breton. Notices et documens pour servir à l’histoire littéraire et bibliographique de la Bretagne. Rennes, Plihon et Hervé, 3 vol. in-12.
  2. La Société des Bibliophiles bretons en a publia en 1890 une charmante édition avec une préface d’olivier de Gourcuff.