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remplis de cette liqueur, il prit l’habitude d’en boire, et on le vit plusieurs fois ivre. Le diable s’empara de lui à tel point qu’armé de couteaux, de pierres, de bâtons, de tout ce qu’il pouvait saisir, il poursuivait les gens qu’il voyait. On fut obligé de l’attacher avec des chaînes dans sa cellule. Ce fut un saint tout de même[1]. » Mais celui-là fut une exception parmi les saints de l’Eglise bretonne, et quand on a lu les belles études de M. de la Borderie sur saint Clair, saint Patern et saint Mélaine, qui furent les premiers évêques de Nantes, de Vannes et de Rennes, on est bien forcé de reconnaître que ces apôtres étaient autre chose que des sauvages. Saint Mélaine surtout, pour qui notre historien avait une prédilection marquée[2], a joué dans la fondation de la monarchie française un rôle dont M. de la Borderie a fait ressortir toute l’importance en des pages décisives.

Les cités armoricaines, nous dit-il, s’étaient séparées de l’Empire en 409 et avaient formé pendant longtemps une confédération indépendante ; elles étaient devenues ensuite, depuis une trentaine d’années, les alliées, les soutiens fidèles de la puissance impériale contre les progrès menaçans des nations barbares et ariennes qui s’étendaient de plus en plus dans les Gaules. Mais comme elles savaient se défendre et se gouverner elles-mêmes, la suppression de la préfecture d’Arles, la chute de l’empire d’Occident ne les déconcertèrent pas, et comme elles n’aimaient pas plus les barbares païens que les barbares ariens, elles firent tête contre les Franks avec tout autant de résolution que contre les Wisigoths et les Burgondes. Malgré leur bravoure exaltée par leurs récentes victoires, malgré l’habileté de leur chef, les guerriers de Clovis ne parvinrent pas à subjuguer les cités armoricaines… Elles résistèrent six années durant (491-496) à ses attaques ; son baptême les détermina à reconnaître son autorité.

« Clovis était alors, en effet, le seul souverain orthodoxe de l’Occident, tous les autres rois barbares étant ariens, sectaires plus ou moins persécuteurs de l’orthodoxie. La conversion au catholicisme d’un roi jeune, vaillant, entreprenant, fut célébrée par les orthodoxes, — c’est-à-dire, en Gaule, par tous les

  1. Souvenirs d’enfance et de jeunesse, p. 82.
  2. Cette prédilection ne doit pas cependant nous faire oublier le culte que M. de la Borderie avait pour saint Yves, dont il a contribué plus que personne à restaurer le tombeau dans la cathédrale de Tréguier, après avoir étudié dans un livre remarquable les Monumens originaux de son histoire.