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de joie. Les voix, qui s’écroulaient, se relèvent et s’élancent. Des notes martelées et tonnantes font comme un cortège de gloire au Fils unique et divin rentrant dans le soin du divin Père. On pourrait aisément orchestrer la phrase finale, et ce sont les trompettes suraiguës de Bach ou même les tubas de Wagner qu’il faudrait pour accompagner cette radieuse ascension.

Mais où donc, demandera-t-on peut-être, où donc est la vie intérieure, le recueillement et le mysticisme que vous nous aviez promis ? Tout cela se cache en deux seuls mots qui sont le centre ou le cœur du dialogue évangélique et qui surpassent tous les autres : Marie ! Maître ! Les voix alternées les chantent, ceux-là, moins qu’elles ne les murmurent. Plus d’éclat, même plus de mélodie : rien que des harmonies, mais de colles que Chateaubriand appelle, dans le Génie du Christianisme, des harmonies d’immensité ; rien qu’une série d’accords parfaits, étranges et profonds grâce à leur perfection même, dégradés et fondus les uns dans les autres par un chromatisme mystérieux. Comme il vient de loin, de l’autre côté de la mort, cet appel où Jésus met à la fois l’affectueux reproche de ne le point reconnaître et l’austère défense de le trop approcher ! Et dans quel soupir de ravissement et d’extase se résout ou se dissout la réponse de Madeleine ! Rien ici ne déborde ou seulement ne dépasse ; tout se concentre et se reploie ; c’est au dedans, c’est au fond de l’âme que tout s’accomplit. Il y a trois ou quatre années à peine, un jeune et déjà célèbre enfant de l’ardente Italie n’a pas craint de noter à son tour le sublime dialogue. Vous n’avez pas oublié quel admirable cri d’épouvante et d’amour il a fait du Rabboni ! de Madeleine. Action et drame, l’œuvre de don Lorenzo Perosi nous semble en quelque sorte une résultante de l’art italien. Carissimi peut-être eût avoué pour son disciple le pretino de Tortone. Le chef-d’œuvre de Schütz, au contraire, chef-d’œuvre de prière et d’adoration, contient en germe et comme en puissance le plus pur génie allemand. Il suffit de rapprocher l’une et l’autre scène pour discerner deux aspects différens, ou plutôt pour toucher à la fois les deux pôles non seulement d’un sujet, mais d’un sentiment, de tout un ordre de sentimens infinis en beauté.

Spiritus intùs alit. Un esprit intérieur, un esprit de piété, je dirais presque d’oraison, inspire les Concerts spirituels du vieux maître. Rien dans Carissimi ne ressemble au cantique : Ich will den Herrn loben allezeit (Je veux louer en tout temps le