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convient, au contraire, à toute espèce de musique : aussi bien à la mélodie qu’à la déclamation. Elle prête à l’une comme à l’autre ses grands substantifs qui se déroulent magnifiquement. Dans un de ses plus mornes lieder, Schumann a chanté die schöne Waldeinsamkeit (la belle solitude de la forêt) et ce dernier mot se prolonge en résonances infinies. L’effet n’est pas fort différent dans une admirable prière de Schütz : « Exauce-moi, Dieu de ma justification, Erhöre mich, Gott meiner Gerechtigkeit. » Le mot de Gerechtigkeit, étant abstrait, ne saurait naturellement faire image ; mais il donne, ou plutôt il impose à la notation de ses quatre syllabes un air de grandeur et de souveraine majesté.

Schütz écrit tantôt pour une voix et tantôt pour plusieurs. Sa mélodie se meut généralement dans un espace ou, comme on dit, un ambitus encore restreint. Elle ne s’emporte ni ne s’égare. Elle a de beaux débuts et quelquefois ses trois ou quatre premières notes annoncent et semblent déjà contenir son évolution tout entière. Le cantique (pour une voix seule) : Ich will den Herrn loben altezeit, est admirable de liberté, si ce n’est de fantaisie. Il concilie tous les élémens : le récitatif, la mélodie, les vocalises, le retour de périodes presque strophiques ; enfin, — excusez l’apparente contradiction des termes, — l’indépendance ou le caprice du refrain. Car c’est une sorte de refrain mystique, cet Alleluia délicieux qui revient de place en place, mais dont le rythme, l’intonation, renouvellent sans cesse et jamais n’épuisent la changeante et fidèle douceur.

Témoin de la réforme qui s’était accomplie en Italie, Schütz rapporte en Allemagne le principe et la pratique de la monodie. Aussi bien ce genre de compositions « convenait à la pénurie des chapelles allemandes alors dépeuplées[1]. » Mais l’amour de la polyphonie survécut toujours et vers la fin l’emporta peut-être en son cœur. Devenu vieux, infirme, il donne à ses dernières œuvres « la pure forme chorale, mêlée de récitatifs, le tout sans accompagnement… Il semblerait que Schütz ait voulu protester, par une austère et rude vigueur, contre les abus de la nouvelle école italienne. C’est un noble testament qu’il a l’illusion d’écrire dans la langue de Palestrina, tandis qu’il y prépare celle de Bach. En ses dernières années, d’ailleurs, il avait compris qu’il n’en est pas de plus digne de l’Eglise. Pour

  1. M. A. Pirro, loc. cit.