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Il n’est pas Jusqu’à ces deux seuls mots : Anima e Corpo, qui ne nous paraissent un peu comme les deux aspects ou les deux faces de l’art religieux que nous commençons d’étudier. Quatre musiciens illustres se le partagent deux à deux. Carissimi d’abord et plus tard Hændel chanteront de préférence les grands drames et les grandes figures des livres saints, l’histoire extérieure et les héros. Schütz, et Bach après lui, entreront plus avant : ce que cherchera, ce que saisira leur génie, c’est le sens et le goût du divin, c’est le rapport intime entre l’âme et Dieu. Tous les quatre contribueront ainsi à la perfection d’un idéal unique, et le titre même du premier des oratorios définit en quelque sorte à l’avance le programme qu’une double évolution remplira tout entier.

L’exemple d’Emilio del Cavalière fut promptement imité. D’autres œuvres, analogues mais inférieures, suivirent la sienne et pendant un demi-siècle le goût de l’allégorie et de l’abstraction d’une part, de l’autre, l’amour croissant de la représentation théâtrale égara le génie, qui naissait à peine, de la musique sacrée. L’Eumelio d’Agostino Agazzari (1606) n’est qu’une « moralité » pieuse sous des dehors païens. « La mythologie s’insinue dans la tragédie religieuse et le style érudit dans les confessions de l’âme chrétienne[1]. » Rome voit se succéder les oratorios sur le fastueux théâtre créé par les Barberini. C’est, en 1634, le Saut’ Alessio, dont le poète est un cardinal de l’illustre famille, et Stefano Landi le musicien. Les contemporains ont célébré non seulement les paroles et la partition, mais les magnificences de la mise en scène, des décors et de la machinerie : « le vol des anges parmi les nuées, l’apparition de la Religion dans les airs, les spectacles merveilleux de l’Enfer et du Ciel, l’incomparable perspective des jardins et des portiques[2]. »

Il était réservé à un futur pape, au cardinal Giulio Rospigliosi, qui fut Clément IX, de collaborer comme librettiste, avec le compositeur Marazzoli, au chef-d’œuvre de ce genre étrangement religieux. La Vita humana, ovvero Il trionfo della Pietà fut représentée trois fois devant la reine Christine de Suède alors de passage à Rome (1656). Le sujet rappelle celui d’Anima e Corpo. « C’est le combat journalier de l’Ame, symbolisé par les deux castels ennemis de l’Innocence et de la Coulpe, qui se

  1. M. Romain Rolland.
  2. Id.