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inquiétudes de l’âme humaine ; le second, les tentations du plaisir et du monde, victorieusement repoussées ; le troisième, le spectacle du paradis et de l’enfer, et l’apothéose de l’âme sauvée[1]. »

À tout ce symbolisme s’ajoute, en dépit de l’apparente contradiction, la figuration matérielle. L’auteur y attache une grande importance. Il en détermine exactement les conditions et les détails mêmes. Quand l’ange gardien de l’âme arrache au Monde et à la Vie mondaine leurs parures, « on voit grande pauvreté, et laideur, et squelette de mort. » Victorieux de la tentation, le Corps se débarrasse de ses vains ornemens : collier d’or et plume au chapeau. L’oratorio comporte même une partie chorégraphique : « des pas graves pendant le chœur, et, dans les ritournelles, des pas de quatre danseurs qui ballino esquisitamente un ballo saltato con capriole[2]. »

Sur certaines questions de théâtre : optique, acoustique, interprétation, Emilio del Cavalière professe déjà les idées wagnériennes. « Il veut que la salle de spectacle ne contienne pas plus de mille personnes, commodément assises ; car dans des salles plus grandes, les paroles ne peuvent être entendues de tous, et le chanteur doit forcer sa voix, ce qui fausse le sentiment. « La musique ennuie, quand on n’entend plus les paroles. » Le chœur doit prendre part à l’action, varier ses mouvemens et ses gestes et ne pas manœuvrer avec l’uniformité d’une troupe d’automates. L’orchestre est invisible, caché derrière un rideau. Il est des plus simples : quelques instrumens à cordes, un clavicembalo et un organo soave… L’essentiel de la tragédie musicale nouvelle était le jeu et la déclamation du chanteur. Cavalière lui demande avant tout de faire bien clairement entendre les paroles et de chanter avec justesse, sans passages d’agrément[3]. »

On reconnaît ici la pure doctrine de Florence. Et puis et surtout certains passages du naïf et vieux mystère en disent assez l’intention sérieuse et vraiment sacrée. Par le sentiment, sinon par l’exécution, tel duo de l’âme et du corps annonce, près de cent cinquante ans à l’avance, les mystiques dialogues de Bach.

  1. Le Drame religieux au XVIIe siècle, par M. Romain Rolland (Tribune de Saint-Gervais, juin 1899). — Consulter également sur les origines de l’Oratorio, sur les œuvres d’Emilio del Cavalière, de Carissimi, de Schütz, l’ouvrage capital du même auteur : Histoire de l’Opéra en Europe ; Thorin, 1895.
  2. M. Romain Rolland, loc. cit.
  3. Id., ibid.