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compromis son fils, et fit retirer les quelques copies de la malencontreuse lettre que Crozat avait eu l’imprudence de livrer. Elle fit plus : elle dépêcha un courrier à son fils pour lui faire sentir son imprudence, et le persuader d’en écrire une seconde qui passerait pour la première et qu’un montrerait à la place. Ainsi fit le comte d’Évreux, et le duc de Bouillon, son père, muni de cette lettre, vint trouver le Roi pour excuser son fils. Le Roi ne fut pas dupe de l’artifice, mais il jugea de l’intérêt même du Duc de Bourgogne de ne pas pousser plus loin les choses, et, quoi qu’en pense Saint-Simon, peut-être n’eut-il pas tort.

Cependant le Duc de Bourgogne supportait ces mortifications avec son humilité et sa résignation habituelles. Il semble même avoir été pris d’une sorte de remords d’avoir trop chargé Vendôme, car il écrivait à Mme de Maintenon : « Je ne sais. Madame, si la lettre que je vous écrivis il y a huit jours n’aura point paru d’un homme piqué du malheur arrivé trois jours auparavant, et qui s’en prenait à qui il pouvait. Il me paraît cependant que je n’avais écrit rien que de conforme à ce que j’avais vu moi-même, et à ce que tout le monde pensait. J’ai mandé depuis au Roi les choses où je craignais d’avoir fait des fautes, et d’avoir pris sur moi par rapport à mon peu d’expérience ; car je ne veux pas rejeter sur autrui ce qui doit retomber sur moi[1]. » Aussi croyait-il devoir faire bonne figure à Vendôme et même à Alberoni, dont il avait lu cependant la lettre dans la Gazette d’Amsterdam. Il en usa de même avec le comte d’Évreux, sur le compte duquel il s’exprime, dans une lettre à Beauvilliers, avec une grande modération, se bornant à dire qu’il ne le croyait pas « un des meilleurs généraux qu’eût le Roi[2]. » Il fit plus encore : Vendôme ayant eu l’audace de se plaindre à lui des propos de la Duchesse de Bourgogne, il écrivit à Mme de Maintenon pour la prier de s’interposer et de rappeler la Princesse à la charité. « Il est revenu à M. de Vendôme, lui disait-il dans une lettre du 7 août, que Mme la Duchesse de Bourgogne s’était publiquement déchaînée contre lui, et il m’en a paru extrêmement peiné. Parlez-lui-en, je vous en prie, Madame, afin qu’elle y prenne fort garde, et que son amitié pour moi ne la porte pas à chagriner et même offenser les autres ; car cette amitié, quoiqu’elle me ravisse, ne pourrait me plaire en ce cas. »

  1. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvilliers, p. 238.
  2. Ibid., p. 253.