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ne continuent de produire les mêmes effets. L’heure est donc mal choisie pour se livrer à des expériences aventureuses, et M. Rouvier le sait mieux que personne. Mais tous ses collègues ne sont pas de son avis. Nous avons nommé M. Pelletan, parce que c’est le seul jusqu’ici qui ait exprimé le sien publiquement, opposant son programme à celui de M. le ministre des Finances, qu’il taxait de timidité, ou même de quelque chose de pis. Il y avait longtemps qu’on n’avait vu d’aussi profondes divisions dans le gouvernement s’étaler au grand jour. Cela dénote un état d’anarchie que M. Waldeck-Rousseau n’aurait certainement pas toléré de la part de ses ministres ; mais ceux de M. Combes ont cru pouvoir en prendre plus à leur aise avec lui, et nous ignorons ce qu’il en a pensé. Quoi qu’il en soit, M. Pelletan, à la fin d’un banquet, a cru pouvoir dire son opinion sur M. Rouvier, et il a retrouvé contre lui quelque chose de la verve qu’il déployait dans ses articles de journaux, oubliant qu’un ministre doit oublier qu’il a été journaliste et garder pour lui le secret des dissidences qui se produisent dans le gouvernement auquel il est associé. Nous aurions pu deviner ces dissidences, mais M. Pelletan ne nous en a pas laissé la peine : il en a lui-même fait part au public. Il y a donc deux tendances opposées dans le Cabinet : laquelle des deux l’emportera-t-elle ? Dans le Cabinet même, ce sera celle de M. Rouvier, sans quoi il donnerait sa démission. Mais devant la Chambre ? Il y aura certainement, aussitôt après la rentrée, de grands efforts en sens contraires ; il s’y mêlera beaucoup d’intrigues, et les partis qui sont aujourd’hui confondus dans ce qu’ils appellent orgueilleusement « le bloc républicain » auront quelque peine à maintenir leur entente. Il est facile de le faire, lorsqu’il s’agit seulement de fermer quelques maisons de congréganistes ; ce sera plus difficile, lorsqu’il s’agira de ces réformes autour desquelles on a monté le bluff électoral de ces dernières années. Tout le monde en a le sentiment au Palais-Bourbon, et il y a quelque chose de piquant à voir avec quel empressement tout le monde s’y est trouvé d’accord pour éloigner un calice dont on sentait d’avance l’amertume. Le cri général a été qu’il fallait tout ajourner, et c’est M. Jaurès qui en a donné le signal.

L’incident s’est produit à propos de la discussion des quatre contributions directes, que la Chambre doit toujours voter à cette époque avant de se séparer. L’occasion était bonne pour discuter l’impôt sur le revenu, puisque, suivant les divers systèmes, cet impôt doit nécessairement, ou s’ajouter aux contributions actuelles, ou en remplacer quelques-unes, ou même les remplacer toutes. Mais, pour les motifs