Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dédaignent même pas à l’occasion de décrire un coucher de soleil ou d’adresser des vers à la lune. Ils se donnent pour des artistes laborieux comparant leur travail à celui du potier qui modèle l’argile, de l’orfévre ou du ciseleur. Ils ne font à la grammaire et à la prosodie que des accrocs involontaires. Ils écrivent pour être compris ; ils bravent le ridicule. Chacun essaie de traduire du mieux qu’il peut son propre rêve. C’est une nouveauté. C’est pour les poètes un progrès et pour le lecteur une délivrance.

Une poésie qui retient beaucoup des enseignemens du Parnasse, qui, par suite du travail des vingt dernières années, a gagné en souplesse, en valeur musicale, telle est, semble-t-il, la poésie d’aujourd’hui. La versification s’est libérée de certaines contraintes pédantesques. Le rôle assigné à la rime est devenu plus modeste, la césure a acquis plus de mobilité, et certains concours de syllabes, jadis proscrits par la règle de l’hiatus semblent devoir être désormais admis. Ces libertés étaient réclamées depuis longtemps et passées au rang de libertés nécessaires. Réjouissons-nous qu’elles soient entrées dans la pratique ! Toutefois, s’il est exact que certaines règles parnassiennes étaient trop étroites, ce qui dans l’école était excellent, c’était l’idée même d’une règle. C’est contre la « discipline » que se sont insurgés symbolistes et décadens, qui étaient avant tout de farouches individualistes. Ils estimaient que le bon plaisir est pour chacun de nous une règle suffisante et que le poète ne doit dépendre que de son caprice. Le principe est trop séduisant pour qu’il n’ait pas chance d’être retenu. C’est de là que pourrait venir pour les jeunes poètes le plus grave danger et nous ne saurions trop les en avertir. Faute de cette discipline sévère qui fut celle des classiques avant d’être celle des parnassiens, ils risqueraient de se perdre dans la facilité et la banalité, et de tomber dans cette abondance stérile d’une poésie où l’insignifiance des thèmes n’a d’égale que la mollesse de la forme.

René Doumic.