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raison de Littré, ce qu’il faut dire ce n’est pas que le ténébreux océan bat les bords de l’île tranquille, mais plutôt que toute l’île est imprégnée des brumes épaisses qu’il dégage. Il n’y a pas seulement du mystère au delà des faits constatés, le mystère est au cœur même des stricts résultats de l’expérience. » Une réaction devait se produire en faveur de la métaphysique ; le symbolisme en fut une des formes. « La poésie d’un temps qui réagit contre le positivisme devait recourir au symbole. Le monde phénoménal est pour le parnassien et pour le positiviste la suprême réalité, ou, si l’on veut, il constitue dans son ensemble une sorte de vaste allégorie dont la signification est mystérieuse. Peindre la réalité telle qu’elle se présente immédiatement aux regards de l’observateur, tel est l’art du parnassien ; représenter dans la réalité tout le définitif mystère qu’elle recouvre, tel est l’art du symboliste. Toutes les divergences qui séparent les deux écoles viennent de là. » On ne saurait mieux dire. Après les parnassiens, il y avait lieu de faire rentrer dans la poésie le sens du mystère. Les symbolistes en eurent quelque soupçon : c’est leur mérite incontestable, et d’ailleurs à peu près incontesté.

Seulement si la tentative était louable, il est difficile d’en dire autant des moyens auxquels eurent recours les symbolistes, et dont l’un consistait à bouleverser la syntaxe, l’autre à supprimer la métrique. M. Beaunier trouve pour expliquer leurs fantaisies les plus extravagantes des raisons très ingénieuses et qui font le plus grand honneur à la subtilité de son esprit, mais qui, je le crains, ne convaincront personne. « On a, dit-il, souvent accusé le poète nouveau de vouloir à tout prix étonner le lecteur : certes il était indispensable qu’il l’étonnât afin de lui rendre justement cette aptitude à s’émerveiller. Les mots étaient usés ; il les a fallu rajeunir pour leur restituer leur puissance expressive. Les phrases étaient connues ; il les a fallu renouveler et c’est à quoi servirent les plus audacieux artifices de syntaxe. » Nous donnerions volontiers de ces audacieux artifices une interprétation assez différente. Plusieurs des poètes qui avaient entrepris de réaccorder l’instrument savaient médiocrement le français ou l’écrivaient avec négligence. En outre ils commirent une erreur initiale. Ils confondirent le mystérieux avec l’inintelligible. Ils crurent que parce que leurs conceptions étaient fumeuses, leurs phrases contournées, et leurs termes impropres, ils avaient restitué dans ses droits le mystère. Ils avaient tout uniment enrichi le patrimoine du pathos et du charabia. Le symbole qui évoque le plus de pensée doit d’ailleurs en lui-même être d’une clarté parfaite. Rien de plus clair que la Maison du Berger ou