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dans sa valeur littéraire : c’est par là qu’un volume de poésie se distingue d’une pièce de théâtre, d’un roman, d’un discours et de plusieurs autres genres où les qualités artistiques sont de surcroît. Les anciens disaient déjà que les poètes ne sauraient être médiocres. Cela nous met en sécurité et nous n’avons donc, pour notre part, qu’à leur tresser des couronnes.

Une question se pose tout d’abord. Dans quelle mesure les poètes d’aujourd’hui ont-ils subi l’influence de leurs prédécesseurs ? Continuent-ils les tendances de ces derniers ou sont-ils en réaction contre elles ? La réponse peut avoir son intérêt, puisqu’il s’agit ici de savoir si de la réforme tentée il y a une vingtaine d’années, date véritablement une ère nouvelle dans l’histoire de notre poésie. Qu’est-il advenu de la longue agitation dont nous avons eu le spectacle ? A-t-elle été stérile ou féconde ? Et pour le cas où elle aurait produit moins de résultats qu’on ne l’avait annoncé, d’où vient cet échec ?

Notez, que dans son principe, le mouvement de rénovation poétique était des plus légitimes, comme on l’a déclaré ici même dès le début et comme on n’a cessé depuis de le reconnaître. La théorie du symbolisme était sur beaucoup de points excellente. Elle venait à son heure. Elle répondait aux besoins qui étaient réellement dans les esprits. Elle entrait dans le courant général de l’esthétique. Elle parait aux reproches qu’on était alors en droit de faire aux artisans de vers. C’est ce que montre fort justement dans un livre sur La poésie nouvelle[1] M. André Beaunier. L’auteur a l’esprit remarquablement clair ; aussi y a-t-il grand avantage à retrouver élucidées par lui les idées qu’entrevirent les réformateurs de la poésie obscurément et confusément. Le mouvement parnassien avait été contemporain du mouvement réaliste et positiviste. Le jour vint où les négations du positivisme parurent arbitraires autant que brutales. Son erreur apparut : elle consistait à négliger tout ce qui n’était pas objet d’observation directe et de connaissance scientifique. « L’île du Connaissable, suivant la métaphore de Littré, s’entoure d’un océan de mystère. Or, s’il est vrai que nous n’ayons pour cet océan ni barques ni voiles, convient-il d’oublier absolument son existence ? Les positivistes se trompèrent quand ils crurent pouvoir établir une nette et définitive démarcation entre les deux domaines. Car le mystère n’est pas extérieur au réel ; il est dans le réel même : l’Inconnaissable ne côtoie pas le Connaissable, il le pénètre. Et, pour reprendre la compa-

  1. André Beaunier, La poésie nouvelle, 1 vol. in-12 (Société du Mercure de France).