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plus le retenir loin de « tante Mimi » qui le réclamait impatiemment ; d’un autre côté, la capitale avait bien des attraits pour ce jeune homme de 19 ans ! Au moment de s’en éloigner, de la quitter peut-être pour toujours, Jean se faisait un peu tirer l’oreille : « Si je vois le moindre risque à courir dans les provinces que je serai obligé de traverser, j’attendrai quelques jours encore... le temps qu’il faudra... » La raison l’emporta toutefois et Jean se mit enfin en route pour Dax...

Il partait à temps, bientôt la Révolution et la mort allaient s’abattre sur les gens et les choses qu’il aimait et tout emporter comme dans un vent de tempête.

Lorsqu’en 1811, Jean d’Etchegoyen revint à Paris, que restait-il en effet du passé ?... Non seulement le mode de gouvernement, les institutions, les mœurs, les goûts, les habitudes avaient subi une transformation complète, mais que de changemens s’étaient produits chez les individus, et parmi ceux-ci combien manquaient à l’appel !...

M. d’Arjuzon, parvenu au terme d’une belle et honorable carrière, était mort le 6 mars 1790, à l’âge de 77 ans, « désespéré des malheurs qui frappaient sa patrie. » Quant à son fils, Gabriel, « accusé d’avoir été d’intelligence avec le Roi et la Reine au moment de la fuite à Varennes, » poursuivi comme receveur général des finances et incarcéré, sous la Terreur, à Port-Libre, il fut sauvé de l’échafaud par la mort de Robespierre. Aujourd’hui, marié à une jolie et courageuse jeune fille qu’il avait connue en prison, père de famille, il était attaché, ainsi que sa femme, à la Maison d’honneur de la Reine Hortense, belle-sœur de l’Empereur, lui en qualité de Chevalier d’honneur, Mme d’Arjuzon comme Dame du Palais.

Ces détails, Jean les apprit de la bouche de son ami. A son tour, il raconta à celui-ci sa vie qui, durant ces vingt années, fut fertile en événemens de tous genres : la Révolution ne l’avait pas épargné, lui non plus ; poursuivi, traqué à Dax par les Terroristes, il dut chercher un refuge dans la campagne, chez un de ses métayers. Découvert dans sa retraite, il put échapper à la prison et fut contraint de s’enrôler dans l’armée que la République envoyait contre les Espagnols, sur la frontière des Pyrénées. « Maintes fois, a dit sa petite-fille, je lui ai entendu raconter cette espèce de guerre de partisans, où il y eut plus de misères à endurer que de coups de fusil à recevoir. » Revenu