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habiter l’Hôtel de Montauban à cause de sa tranquillité et parce que les femmes du monde n’y vont guère, ce qui est rare à Paris.

« Si j’avais cru Paris tel qu’il est, c’est bien certain que je n’y serais jamais venu, au moins si tôt, car je tâche d’économiser tant que je puis, et néanmoins mon argent s’en va... On y crève de faim, même en payant : le diner le plus simple coûte 22 sols, il se compose de soupe et de bouilli souvent assez mauvais. Notre petit ordinaire vaudrait bien, ici, 40 sols pour le moins. Je vais à la vérité au moins cher, mais ne le dites à personne, je vous prie.

« Là-bas, on fait croire que tout est bon marché à Paris, rien n’est plus faux : le sac à poudre se vend 3 livres et demie, encore par faveur, et les étoffes coûtent trois fois plus cher qu’à Dax. Par exemple, on a des habits pour un prix très avantageux à la friperie ; il y en a qui sont brodés, d’autres en velours, et ils valent moitié prix que ceux de drap : c’est donc là que j’irai chercher ce qu’il me faudra, car je ne veux pas sortir de mon rang. »

Parlant ensuite de ses projets d’avenir : « Pour entrer dans les gardes du corps, il est inutile d’y penser, car il faudrait avoir six pieds ou bien cinq avec grande protection et espérance de devenir grand. Si vous le voulez, je pourrai tâcher d’entrer comme surnuméraire dans quelque régiment, ou bien préférez-vous que je me destine à la robe ?

« Je ne veux rien faire sans vous consulter et suis toujours prêt à obéir à toutes vos volontés. Surtout ne vous chagrinez pas et ne soyez pas inquiète à mon sujet, car je me porte à merveille, je n’ai même pas été éprouvé par l’eau de la Seine. »

Si « tante Mimi, » peu au courant des tentations de la capitale, ne soupçonnait pas les dangers que pouvait y courir son neveu ainsi lâché la bride sur le col, il n’en était pas de même de M. d’Arjuzon, qui, à la prière de Mlle d’Etchegoyen, avait accepté de surveiller l’enfant et qui jugea prudent de restreindre cette liberté excessive. L’absence de « femmes du monde » et la « tranquillité » de l’Hôtel de Montauban ne lui offrant que des garanties insuffisantes de la sagesse du jeune philosophe, il résolut de le placer en pleine pension, au collège du Plessis-Sorbonne, où son fils avait reçu une excellente éducation.