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l’origine de notre ère, paraît bien avoir essayé de lutter contre les invasions de la mer en fermant tant bien que mal avec des fascines, des clayonnages, des madriers et des remblais en terre les nombreuses issues qui existaient entre les dunes et qui permettaient l’écoulement des eaux. Mais ces premiers polders épars, qui formaient des îles perdues au milieu de la lagune, devaient avoir une existence bien précaire. Il est probable qu’ils furent bien souvent bouleversés, que les premières cultures furent tour à tour noyées par le flot ou enfouies sous les alluvions, et que la chasse dans les forêts voisines et la pêche un peu partout dans les marécages le long de la côte ou en pleine mer ont été, beaucoup plus que les produits de la terre, les ressources de ce peuple primitif.

L’exutoire le plus septentrional de l’Aa était vraisemblablement un petit havre entouré de dunes un peu plus fréquentées que le reste du pays ; et c’est là qu’en 646, saint Eloi, évêque de Noyon, légat apostolique du Saint-Siège, vint prêcher l’Evangile aux pêcheurs. Il fit bâtir un petit oratoire qu’on appela « l’église des dunes, Dune-kerche. » Quelques habitations se groupèrent tout autour et constituèrent bientôt un hameau qui prit chaque jour un peu plus de cohésion. Deux siècles et demi plus tard, vers l’an 900, le forestier Beaudouin III, arrière-petit-fils du premier Beaudouin, le fameux Bras de Fer dont on vient de conter la romanesque aventure, l’entoura d’une muraille. Le mouillage était bon. Les habitans disséminés un peu partout, dans la région des Moëres, le fréquentèrent de plus en plus. Ce fut l’origine de Dunkerque.

Aucune ville de notre frontière, aucun port de nos côtes n’a eu, plus que Dunkerque, à souffrir de la guerre et de l’invasion ; et on peut dire à son honneur que son énergie et sa force de résistance furent à la hauteur de toutes les épreuves. Tour à tour prise et reprise par les Français, les Anglais et les Espagnols, saccagée, démantelée, ruinée, inondée, elle a vu plusieurs fois son port à peu près détruit, son enceinte mutilée, ses bassins comblés, ses écluses renversées, et elle n’a jamais perdu confiance dans l’avenir. Jean Bart est bien le type héroïque de cette race flamande tenace, audacieuse, patiente, à la fois guerrière et commerçante, que le malheur peut frapper sans l’abattre et qui se redresse sans cesse toujours prête à recommencer la lutte.