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Nos princes ont été un quart d’heure en danger d’être pris. Ils sont hors de péril, et, comme je l’ai mandé à notre mère, notre armée ne demande qu’à se racquitter ; elle est encore fort belle et fort bonne ; » et comme, avec elle, le sens comique des choses ne perd jamais ses droits, elle ajoute : « La perruque de M. Fagon a été si avancée sur son visage que, s’il n’avoit pas eu le nez si long, on n’auroit pas connu le devant d’avec le derrière de sa tête[1]. »

Avec Mme de Maintenon, le ton change et s’élève : « Vous savez, Madame, écrivait-elle, le 23 juillet, à la princesse des Ursins, que notre bonheur n’a pas duré longtemps. La réduction de Gand sous le pouvoir du Roi Catholique nous avoit mis dans une situation bien avantageuse ; il n’y avoit plus qu’à s’y tenir tout le reste de la campagne ; c’étoit aux ennemis à courir et ils étoient désespérés. M. de Vendôme, qui croit tout ce qu’il désire, a voulu donner un combat et il l’a perdu, et nous sommes beaucoup pis que nous n’étions, tant par la perte de nos troupes que par la crainte des suites et l’air supérieur qu’ont présentement nos ennemis… Le Roi soutient cette dernière aventure avec une grande soumission à la volonté de Dieu, et l’on voit toujours ce même courage et cette même égalité d’esprit. Pour moi, misérable, vous croyez bien. Madame, que j’en suis accalée ; mon triste cœur s’étoit un peu épanoui sur l’affaire de Gand. Mais le voilà plus serré que jamais par la crainte du reste de la campagne. » Et elle ajoute avec une juste prévoyance de l’avenir : « Il est impossible qu’il ne se mette de la froideur entre le Duc de Bourgogne et M. de Vendôme par la diversité de leurs avis, et combien de gens contribueront à l’augmenter par leurs mauvais discours[2]. »

Les mauvais discours ne devaient pas tarder en effet à aller leur train. Durant les premiers jours, partisans et adversaires du Duc de Bourgogne ou de Vendôme furent laissés dans un égal embarras par l’obscurité qui continuait de régner sur les détails de l’affaire. Le Roi gardait le silence, et, comme il avait arrêté au passage toutes les lettres adressées à des particuliers dont était chargé le courrier porteur de la première nouvelle, comme, après les avoir toutes lues, il n’en avait rendu qu’un petit nombre

  1. Lettres historiques et édifiantes, t. II, p. 253.
  2. Geffroy, Madame de Maintenon d’après sa correspondance authentique, t. II, p. 168.