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Il est donc très probable, — et tous les historiens de la Flandre maritime s’accordent à le dire, — qu’à l’époque de la conquête, et même longtemps après, toute la région littorale, le long de laquelle devaient plus tard s’élever les villes de Calais, de Gravelines et de Dunkerque, et qui s’étendait plus loin même que Saint-Omer, était à peu près sous l’eau. C’était la partie noyée et presque inhabitable de la grande province qu’on appelait la Morinie. Elle se composait d’une série de golfes, de petits lacs, de marais et d’îles nombreuses, les unes à une certaine distance de la terre ferme, les autres tantôt isolées, tantôt rattachées entre elles ou au rivage suivant la hauteur de la mer.

La principale de ces îles a été décrite par Strabon et se trouvait à peu près à moitié chemin entre les dunes émergées qui devaient être un jour les territoires de Gravelines et de Dunkerque. A l’Est s’ouvrait le golfe de Mardick ; à l’Ouest un autre golfe du côté de Calais ; au Nord la mer. Au milieu serpentaient les bras nombreux d’un large cours d’eau, dont les eaux, périodiquement gonflées par la marée, se déversaient de tous côtés et couvraient toute la plaine basse de leurs limons. C’était l’Aa. Les cartes, assez rares d’ailleurs, à l’aide desquelles les chroniqueurs et les historiens du siècle dernier ont essayé la reconstitution de l’ancien littoral de la Morinie, ne sauraient présenter un grand caractère d’exactitude ; et, malgré les progrès sérieux de la critique moderne et de la science géographique, celle que l’on serait tenté de faire aujourd’hui ne pourrait fournir, sur les contours du rivage, tels qu’ils devaient être il y a quelques années à peine, que des indications bien approximatives. Mais il est cependant tout à fait certain que ce golfe existait et qu’un véritable bras de mer s’avançait autrefois jusqu’à Saint-Omer et même bien au delà.

Les anciens géographes donnent à cet estuaire le nom de Sinus Itius ; mauvaise désignation, puisqu’elle avait été déjà appliquée à l’embouchure de la Liane et qu’elle peut causer une confusion. L’estuaire s’est d’ailleurs bientôt transformé en marécage, et l’homme a fini par le convertir en un excellent territoire agricole. Mais cette plaine cultivée a été longtemps une grande rade ; et les barques de pêche pouvaient encore, au moyen âge, y entrer à pleines voiles. Tout autour, une centaine de villages et de masures, et, au milieu, un nombre indéfini d’îles comme on en voit dans le bassin d’Arcachon ou dans le Morbihan. Au Xe siècle encore, le bras de mer pénétrait dans les