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légèrement mal à son aise avec lui, l’attitude du fils, toute respectueuse qu’elle demeurât, étant une perpétuelle leçon pour le père. Vainement le Duc de Bourgogne s’efforçait-il de le désarmer, en témoignant des égards à Mlle de Choin, et en souffrant que celle-ci fût assise dans un fauteuil et la Duchesse de Bourgogne sur un simple tabouret. Il n’en était pas moins, suivant l’expression de Saint-Simon, « fort en brassières » quand il venait à Meudon, ses mœurs et celles de ce monde se convenant peu. Tous les hommes qui composaient la cour de Monseigneur lui étaient hostiles. Vendôme en était l’un des principaux familiers, et Saint-Simon avait raison, lorsqu’il signalait par avance à Beauvilliers la malveillance avec laquelle tous les actes du Duc de Bourgogne seraient jugés à Meudon, toute la faveur qu’y rencontreraient, au contraire, ceux de Vendôme. « Monseigneur, lui disait-il, sera paqueté contre son fils, et le premier à lui jeter la pierre ; le courtisan, qui craint déjà son austérité, sera ravi de pousser de main en main cette pierre qu’il ne craindra plus, poussée par Monseigneur lui-même. Si cela arrive, que jugez-vous que feront les personnes que j’ai nommées (les habitués des Parvulos) ? Quel parti n’en tireront-elle s’pas, et avec quel art ne feront-elles pas jouer tous leurs ressorts de derrière les tapisseries ? Madame la Duchesse de Bourgogne pleurera, mais il faudra des raisons et non des larmes. Qui les produira contre ce torrent ? Qui osera se montrer à la cabale pour en être sûrement la victime tôt ou tard[1]. La mode, le bel air, sera d’un côté avec un flux de licence, le silence de l’autre et la solitude. » C’est en ces termes pressans que Saint-Simon avait parlé à Beauvilliers, dans leur longue conversation du mois d’avril précédent, et à supposer même, comme nous le croyons, qu’il ait un peu poussé les choses au noir, en voyant un complot ourdi à l’avance dans ce qui fut surtout une occasion favorablement saisie, ces prévisions n’en font pas moins honneur à sa sagacité. Aussi était-il nécessaire de s’arrêter quelque temps avec lui dans cette petite cour de Meudon pour mieux comprendre la suite des événemens qui vont se dérouler.

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 16.