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France s’entendre avec Marie-Thérèse à ses dépens, et c’est ainsi pour n’être pas prévenu qu’il aurait lui-même offert la paix à l’Autriche. Malheureusement « cette paix de Breslau n’était qu’un piège de la cour de Vienne, » il fallut bien le reconnaître quand Marie-Thérèse, débarrassée de ses autres ennemis, vint à son tour l’inquiéter dans sa neutralité tranquille, et sans aller jusqu’à dire, comme certains historiens allemands, que, par cette « faiblesse, » Frédéric perdit l’occasion de ruiner sans retour la maison d’Autriche, il est clair qu’il aurait pu dès lors la mettre hors d’état de lui revendiquer jamais cette Silésie pour laquelle il devra tirer l’épée deux fois encore.

Est-il enfin permis de marquer un point faible dans sa dialectique politique ? On le trouverait dans l’évaluation de toute une catégorie de données qui jouent dans les rapports entre États un rôle sans cesse croissant, j’entends les données psychologiques, les forces morales. Préjugés, sentimens, Frédéric s’est affranchi quant à lui des uns et des autres, et fatalement il lui arrive, non pas sans doute de les méconnaître, mais d’en mal calculer les effets chez autrui. Par exemple, a-t-il jamais pénétré l’état d’esprit à la fois indolent et susceptible, qui, avec un fond de vrai sens politique, était celui de Louis XV, dont sans cesse il froissa l’orgueil, souvent sans le vouloir et sans même s’en douter ? Naturellement le domaine de l’âme féminine lui est encore plus fermé, et ce fut un des malheurs de sa carrière, — il le sentait bien, — d’avoir toujours affaire à ces « diablesses de femmes, » dont les caprices et l’entêtement le déroutent. Il comprit, mais trop tard, que la tsarine Elisabeth le détestait personnellement, que l’impératrice Marie-Thérèse n’avait qu’un désir au cœur, qui était de reprendre la Silésie ; et quant à la troisième de ses ennemies intimes. Mme de Pompadour, ne voulut-il pas l’acheter en lui faisant offrir cinq cent mille écus, ou en lui donnant en gage la principauté de Neuchâtel et Valengin, sa vie durant ! Il n’a pas été beaucoup plus heureux avec cette autre puissance politique, l’opinion, qui est femme, elle aussi : il connaît sa force, il la redoute, mais il en préjuge mal les impressions et surtout les exigences. Nul exemple a est plus significatif à cet égard que la fameuse convention de Westminster, par laquelle il se fait une amie de l’ennemie jurée de la France, l’Angleterre, — et lui garantit la neutralité du Hanovre, c’est-à-dire du seul point sensible où les intérêts britanniques pouvaient