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pour la brûlure ? » Et là-dessus il bâtit tout un plan de bouleversement de l’Allemagne, où il attribue Munster au Hanovre, à la Saxe Erfurt, la Basse-Lusace à lui-même, où il donnerait beaucoup et prendrait davantage, si la capitulation de son lieutenant Fouqué à Maxen ne venait couper court à son rêve : « Chaque fois que l’on espère trop, dit alors un de ses familiers, il y a toujours du revers. » C’est la même erreur d’optique qui lui fait toujours estimer ses propres forces au-dessus de leur valeur, et les forces ennemies au-dessous ; en politique comme en guerre, il est toujours « pour les pointes, » il aime « les actions brillantes et les choses singulières qui ont de l’éclat, » défaut dont il s’accuse à Maurice de Saxe comme d’un péché de jeunesse, mais dont il ne sut jamais se corriger tout à fait.

Voilà le danger de cet optimisme dont le mérite est de le soutenir en lui montrant toujours la victoire au bout de l’épreuve, et qui ne l’empêche d’ailleurs pas de calculer de tout aussi près les événemens, soit pour en profiter, soit pour s’en préserver. Mais, dans cette puissance même de calcul, — il faut le remarquer, — il y a parfois un excès. Parfois il arrive que Frédéric calcule trop, pour ainsi dire. Sans doute sa vision des faits est extraordinairement pénétrante, mais cette pénétration même l’induit parfois en erreur, en lui faisant prendre pour réalisés d’ores et déjà des phénomènes réalisables, probables, mais non pas réels encore. Sans doute il voit très loin, mais il voit aussi parfois trop loin. Pourquoi, par exemple, cette offensive brutale contre Marie-Thérèse en 1756, prélude de la guerre de Sept ans ? C’est qu’il croit déjà consommée contre lui la grande coalition de l’Autriche, de la Russie et de la France, alors qu’en réalité cette coalition, loin d’être parfaite, n’aurait peut-être jamais abouti, s’il n’en avait précipité le dénouement par son entrée soudaine en Saxe et en Bohême. « Peut-être suis-je trop soupçonneux, disait un jour le roi à Podewils, mais le saurait-on trop être en ce monde ? » Trop de méfiance fausse parfois la vue, et, à force de vouloir découvrir partout « quelque serpent caché, » on risque de négliger les dangers vrais pour les fictifs. C’est ce qui lui arriva entre autres à la fin de la première guerre de Silésie, au traité de Breslau. Parmi les raisons qui lui firent abandonner alors ses alliés, Louis XV et l’Empereur, il y avait la crainte, bien chimérique en fait, de voir le roi de