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grimpe sans bruit, à un tronc lisse comme une colonne, qui grimpe en s’aidant de ses doigts de pieds, avec l’aisance et la rapidité d’un singe, pour aller là-haut chercher, dans les nervures des feuilles, une eau qui sert à composer une boisson. Et c’est la dernière image reçue par mes yeux qui se ferment, cet homme grimpeur, presque quadrumane, qui monte si vite et que l’on n’entend même pas...

Cette mer, si lumineuse et profonde, combien j’aime la sentir, là tout près, entendre sa palpitation immense :... Car elle est la route libre pour s’en aller partout, la route où l’on voit au loin et où l’on respire, pour moi la route familière et de tout temps connue. Vraiment, la vie paraît plus claire dans son voisinage. La retrouver, me fait me retrouver moi-même. Je me crois pour un instant sorti de cette Inde trop incompréhensible, — et puis tellement ombreuse, dans les arbres, enfermée..


XII

Après les heures de repos, il a fallu rentrer dans mon île et mon palais dormant.

Et le soleil se couche lorsque j’en repars enfin pour toujours, avec ma même barque aux quatorze rameurs, qui va me conduire, en une nuit de voyage encore, à Trichur, la ville la plus septentrionale de l’Etat de Cochin.

Notre premier élan, comme à chaque départ, est superbe. Les rameurs reposés, à tous coups de pagaye ont l’air d’arracher des pelletées d’eau, et, pour les aider, nous avons tendu une voile au vent. Très vite, nous nous enfonçons une fois de plus dans la route aisée des lagunes, entre les rives de palmes.

C’est dans l’or rose, il va sans dire, que descend et s’éteint notre soleil de ce soir, bientôt disparu là-bas derrière l’éternelle verdure. Un ciel édénique, sans nuages, d’une nuance particulièrement exquise, s’étend sur notre monde tranquille, et, maintenant nous voici au milieu des pêcheries, des barques, des filets tendus, au milieu d’une vie lacustre semblable à celle que nous avions déjà connue la veille ; ici, en sécurité encore, elle se perpétue cette vie d’autrefois, sur ces lagunes indiennes, protégée de tous côtés par les rideaux de la forêt de palmes, dont le crépuscule en ce moment semble augmenter la profondeur et le mystère.