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La chambre à coucher des rajahs est la seule pièce encore meublée ; un lit y est demeuré, sorte de nacelle, de plateau en bois précieux, garai de matelas en brocart et suspendu au plaforid par des cordes en soie rouge ; des serviteurs y berçaient le souverain, après ses repas, pour l’endormir. Ici, autour de cette couche royale, les fresques des murs, d’une conception troublante s’il en fut, étalent une lascivité sans frein ; des déesses, des hommes, des bêtes, des singes, des ours, des gazelles, aux figures convulsionnées, aux yeux délirans, s’enlacent et s’étreignent, dans des paroxysmes d’amour.

Une dernière salle, très fruste, où brûle et fume, jour et nuit, une grande lampe de bronze... Dans celle-ci, on ne permet plus de mettre les pieds, parce qu’elle communique là-bas, par le fond empli d’ombre, avec le temple...

Voici bientôt l’heure méridienne, où il faut absolument s’abriter sous un toit. Mon île ombreuse est trop éloignée, j’irai à Cochin, dans quelque « maison de voyageur. »

En petite voiture de louage, traînée par deux coureurs agiles, je traverse donc à nouveau les rues indiennes de Matanchéri, où fourmillaient ce matin tous les costumes, tous les types du Malabar, et où va tomber à présent la torpeur de midi.

Cochin, que j’ai bientôt fait d’atteindre, est bâtie sur une bande de sable, entre les lagunes et la mer, vieille petite ville coloniale un peu immobilisée, où l’empreinte des Hollandais se retrouve encore. Et la maisonnette où l’on me donne asile regarde la plage, regarde l’infini.

Là, devant moi, c’est la grande mer bleue, la mer d’Arabie. Les sables de ses bords resplendissent d’un éclat blanc et rose sous le soleil vertical ; les corbeaux, les aigles pêcheurs s’y ébattent en jetant des cris, et une belle houle tranquille y vient déferler à intervalles réguliers. Un peu au large, sur le bleu poli et miroitant des surfaces, on voit poindre, çà et là, des nageoires, des dos de requins en maraude. Et l’horizon se perd dans un éblouissement magnifique.

Derrière ce logis où je vais m’endormir, et qui ne se ferme d’aucun côté, le bois de cocotiers tout de suite commence ; par mes fenêtres, j’en aperçois les dessous, comme dans une lueur verte : des retombées de longues palmes, de longues plumes, éclairées par transparence, et d’un vert qui semble lumineux sur le vert sombre des fonds. Maintenant voici un jeune Indien qui