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les chronologies sont mêlées de fables et de symboles ; mais il donne l’impression d’une antiquité extrême ; dès l’entrée, on a le sentiment de pénétrer dans quelque chose d’inconnu et de puissamment barbare.

Les rares petites fenêtres, encaissées, avec des sièges taillés au dessous dans la pierre, révèlent l’épaisseur des maçonneries. Tous les escaliers, même ceux qui montent aux salles d’apparat, sont roides, sombres, étouffans, larges à peine pour une seule personne, ont je ne sais quoi de puérilement sauvage. Et les salles, extrêmement longues, basses, obscures, emprisonnent et oppressent.

Ces plafonds trop bas, et si ouvragés, en caissons, en rosaces, en pendentifs, sont faits de bois rares, qui ont gardé leur couleur foncée, avec seulement çà et là quelques peinturlures. Et, au contraire, les murailles ont été laissées plates, absolument unies d’un bout à l’autre ; au premier abord, dans cette pénombre, on les dirait tendues d’une étoffe à dessins polychromes, mais elles sont peintes ; par tout le palais, ce sont des fresques, les unes un peu détruites par le temps, les autres dans un état de conservation parfaite, comme certaines peintures égyptiennes des tombeaux.

Oh ! des fresques stupéfiantes, d’un art très spécial, d’un art touffu, exubérant, prodigue. Amas de nudités, reproduites avec un souci minutieux de l’anatomie, dans l’exagération même de la beauté indienne : tailles trop fines et seins trop bombés. Grouillement multiple, tassement, enchevêtrement, confusion éperdue de bras, de cuisses grasses, de reins qui se cambrent et de poitrines qui se gonflent. Les chevilles et les poignets ont des bracelets ; les fronts, des couronnes ; les gorges, des colliers. Et des bêtes aussi s’entremêlent à cette débauche de muscles cuivrés.

Pas un meuble nulle part ; tout est vide. Sous l’écrasement des plafonds compliqués, rien que ces simili-étoffes, couvrant les parois de toutes les galeries, prolongeant ce cauchemar de chair humaine ou animale jusque dans les chambres les plus abandonnées les plus obscures.

Dans la salle du centre, la plus vaste et la plus haute, celle où l’on couronnait les rajahs, les fresques représentent des séries de déesses nimbées, qui sont en travail d’enfantement au milieu d’une indescriptible affluence de spectateurs dévêtus.