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national, mais sont déguisés en de bizarres poupées d’Occident, poupées trop jolies malgré leur teint cuivré, et avec de trop grands yeux en velours noir. Comme ce jardin est sur une hauteur, on aperçoit un peu au loin l’Océan Indien ; mais un océan qui est sans navires, qui, au lieu de représenter comme en d’autres pays la voie de communication avec le monde extérieur, n’est dans ces parages qu’un néant inutile et hostile, vous séparant davantage du reste de la Terre, puisqu’il n’y a point de port sur toute cette côte, ni même de barques, ni de pêcheurs, rien qu’une ceinture de brisans infranchissables. Et cette apparition de mer lointaine ajoute plus de mélancolie encore, plus de tristesse d’exil à l’heure élégante de Trivandrum, quand la musique joue au déclin de la journée pour quelques pauvres bébés solitaires.

Maintenant le soleil se couche là-dessus, se couche très vite : splendeur d’un instant, feu de Bengale rose, dirait-on sur la terre couleur de sanguine, et feu de Bengale vert sur les arbres, sur l’inextricable fouillis de ramures éployé jusqu’aux limites de la vue ! Et puis la nuit tombe, sans crépuscule, hâtive, presque soudaine, à son heure invariable que n’influencent pas comme chez nous les saisons. On y voit encore au jardin, qu’il fait déjà noir partout alentour, dans les allées touffues, sous les palmes. Alors une clameur monte du grand sanctuaire de Brahma, tandis que, de tous les autres temples épars, s’échappe, comme le matin, le bruit des cymbales et des conques sacrées. Et les milliers de lampes, à huile de cocotier, s’allument sous bois, traçant leurs lignes de petits feux rouges dans l’obscurité des chemins.


IV

24 décembre. — Sept heures du matin : l’heure des visites officielles et des réceptions princières. Quand ce soleil du Travancore, éternellement estival, lumineux et chaud, commence de pénétrer horizontalement sous le couvert des palmes, en longs rayons qui éclaboussent d’or rose les tiges des cocotiers et des arékiers, je monte en voiture, pour aller au palais, me présenter au Maharajah dont je suis l’hôte. Nous trottons d’abord sous la voûte de plumes vertes, et bientôt nous voici devant le portique monumental que j’avais cru franchir la nuit de mon arrivée ; il donne accès dans le quadrilatère muré qui forme une