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à tous, bienfaisantes encore à ceux-là mêmes qui ne croient plus !...

On me promet, dans d’autres parties de l’Inde, des lieux d’adoration moins farouches où j’entrerai peut-être. Mais maintenant, paraît-il, je dois me retirer pour n’être pas indiscret. Notre voiture pourra seulement, si je le délire, faire au pas le tour de l’immense temple.

L’enceinte en est carrée, assez vaste pour enclore une ville. Isolé au milieu de chacune des quatre faces, un pylône prodigieux se dresse, sous lequel on a percé une porte ; par ailleurs, ces murailles muettes, que nous longeons dans le silence et l’obscurité, sont aussi droites et sévères que des murailles de citadelle. La route solitaire que nous suivons fait du reste partie d’une zone déjà sacrée, où les hommes des basses castes ne sont point admis, — et là nous passons près de grandes masses sombres, échouées comme au hasard, qui semblent être aussi des pyramides d’idoles, et posent sur des roues géantes : les chars, que des milliers de bras mettent en marche pour promener les dieux, aux jours de fête et de délire ; ils sommeillent cette nuit, la base enlizée dans des ornières, ainsi que des choses mortes.

Quand nous nous éloignons par l’avenue de palmiers, sous les hauts plumets noirs penchés en tous sens, c’est une heure de plus violente exaltation religieuse, et des rites particuliers doivent s’accomplir, car nous entendons derrière nous, dans l’idéale nuit sereine, des sons caverneux de tamtams, des appels de trompes comme des beuglemens de monstres. Et cela est barbare à donner le frisson.

21 décembre. — Encore au village de Palancota. Pour chasser les moustiques et les phalènes, toute la nuit, des serviteurs de bronze ont agité l’air avec de grands éventails. Et la maisonnette indienne, très vieille et très blanche, — dans laquelle on a dormi portes et fenêtres ouvertes, — s’éclaire dès l’aube, reçoit dès la première heure la gaie lumière. On s’éveille au soleil levant, dans la splendeur.

La vérandah, encore fraîche de rosée, semble alors un asile exquis, la vérandah toute neigeuse de chaux, avec ses gros piliers trapus, naïvement irréguliers, où des jasmins s’enroulent.

Alentour, c’est la campagne, le calme pastoral, la paix édénique du matin. Sur une nature un peu brûlée, un peu alanguie de sécheresse et d’automne, c’est, dirait-on, le rayonnement