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à telle ou telle taille, suivant leurs forces et leurs qualités de travail : il place les nouveaux arrivés ; il exerce sur les enfans, employés au fond, une sorte de tutelle. Les porions de quartier discutent pour chaque taille le prix avec les ouvriers, qu’en cas de contestation, ils renvoient au chef porion. Le dialogue est bref et réglé à l’avance : « Ce n’est pas assez, dit l’ouvrier. — Tu iras voir Charlouis, » répond le porion. — Charlouis, c’est le chef porion, Charles-Louis M..., car jamais on ne donne au chef porion son nom, on ne le connaît que sous son prénom ; grande marque de considération, comme, dans les villages, on n’appelle que par leur prénom : « monsieur Charles » ou « monsieur Louis, » les enfans des familles auxquelles on accorde quelque supériorité de fortune ou autre. Et Charlouis décide, ou il en réfère à l’ingénieur, qui tranche le débat en dernier ressort. S’il croit que les salaires sont un peu bas, dans tel ou tel quartier, il en prévient l’ingénieur, et on avise. Son rôle est donc très délicat : intermédiaire entre les ouvriers et la compagnie, entre le Travail et le Capital, responsable pour une part de la paix ou de la guerre, il lui faut du jugement, du tact, du sang-froid et même de la finesse psychologique. Du choix qui sera fait du chef porion avec plus ou moins de discernement peut dépendre, on le voit, beaucoup de bien ou beaucoup de mal.

Ses inférieurs immédiats, les porions, jouent auprès de lui le même rôle qu’il joue auprès de l’ingénieur ; jugent-ils que les ouvriers ne gagnent pas suffisamment à telle ou telle taille particulièrement difficile, ils l’en avertissent. Ils « commandent » le matin les équipes, vérifient s’il y a des absens, et, dans le cas où il y en aurait, demandent au chef porion de les remplacer. Ils font abattre le charbon et le font transporter ; ils pourvoient à la solidité du boisage des chantiers, à la sécurité des plans inclinés. Dans tous les sens du mot, ils « assurent » le travail.

C’est ce que fait aussi, avec eux et sous eux, le surveillant, qui est comme le substitut du porion, qui le supplée lorsqu’il est malade ou en congé, qui l’assiste dans les momens d’urgence et dans les passages périlleux. Habituellement, puisqu’il est surveillant, il « surveille » le travail ; allant sans cesse d’un chantier à un autre, il a l’œil, dans ses rondes, aux gamins et aux conducteurs de chevaux : il est en fait un second porion, mais un porion en mouvement.

Chefs porions, porions, surveillans, sont les sous-officiers de