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désignation qui serait tout à fait inexacte aujourd’hui que la Liane n’est plus, à quelques centaines de mètres en amont de Boulogne, qu’un assez mince filet d’eau sans profondeur, impropre même au flottage. L’estuaire s’est donc peu à peu remblayé et comblé. Le plan dressé par Vauban en 1695 figure une ancienne île qui occupait à peu près l’emplacement du port actuel et d’une partie du bassin de retenue. Cette île était désignée au moyen âge sous le nom d’« île Saint-Laurent. » Elle s’est soudée à la berge Nord de la Liane, et sur son emplacement se trouve aujourd’hui une partie de la basse ville. Le petit vallon des Tintelleries, qui se creusait entre cette île et la colline, jadis couronnée par la Tour d’Ordre, formait alors une « darse » dans laquelle pénétrait le flot ; et cette « darse » était probablement, à l’époque romaine, un très bon abri pour les galères et un excellent bassin naturel où elles trouvaient les meilleures conditions d’échouage.

Les travaux modernes ont d’ailleurs beaucoup contribué au rétrécissement du lit de la Liane ; et tout récemment encore, on a découvert, dans le quartier de Brequerecque, à plus de 300 mètres du quai actuel qui borde le bassin de retenue, des ruines d’un ancien mur d’accostage et des organaux remontant à quinze ou vingt siècles et qui permettent de donner une idée de la largeur du fleuve à l’origine de notre ère. C’est là, à côté de cet ancien quai, que venaient aboutir les trois voies romaines, dont on a retrouvé quelques fondations et des dalles fragmentées, et qui mettaient en communication le port de Gesoriacum avec l’intérieur de la Gaule. La première de ces routes se dirigeait vers l’embouchure de la Seine, aboutissait au port de Ialobona, Lillebonne, et on peut en voir le graphique ou le schéma sur la Table de Peutinger ; la seconde, qui était la grande route d’Italie, l’ancienne voie d’Agrippa, passait à Amiens Ambiana, à Soissons Augusta Suessonum, à Reims Darocortoriù, à Troyes Augustonona ad Tricasses, à Aulun Augustodanum, à Lyon Lugdunum¸ et de là se dirigeait vers les Alpes ; la troisième allait vers le Nord, du côté du Rhin, passait par Thérouanne Taverna, le Mont-Cassel Castellum Menapiorum, Bavay Bagacum, Tongres Advatica et Cologne Colonia Agrippina. De ces deux dernières on peut suivre toutes les étapes sur l’Itinéraire d’Antonin.

Le port romain s’est donc en partie comblé ; et on peut juger de l’épaisseur des dépôts qui l’ont obstrué par la profondeur de