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La Brèche-aux-buffles, y sont particulièrement réussis, il arrive qu’un cow-boy enthousiasmé prend son revolver et le décharge en l’air, en signe d’admiration ; alors tous ses camarades en font autant. Souvent aussi, un dilettante jette un lasso à une danseuse, et la tire dans la salle... » N’est-ce pas, exactement, avec des filles en maillot et des pitres en houppelande, le retour à la caverne et à la forêt ?...


XII

A Montmartre, le pullulement des bouibouis est extraordinaire, et on respire, dans chacun d’eux, la quintessence de cent débits lyriques réunis. Les plus simples bouges, en outre, au voisinage des « cabarets artistiques, » prennent tous quelque chose du « genre artiste, » et il en résulte, partout, une outrance dans le paradoxe, un sport dans le cynisme, un détraquement particuliers... Il y a là des « concerts » qui appellent la « nation à l’adoration du dieu Pognon, » et montrent le « ciel » dans un « cochon »... Il y eut le Concert du Pendu, où un pendu véritable se balançait à une potence pendant les danses et les chansons, dans le bruit des verres et la fumée des pipes, au rythme des ritournelles...On a pu assister, dans certains caboulots, où les places coûtaient cinq francs, et où s’empilaient passionnément les « gens bien, » à des saynettes monstrueuses, à d’invraisemblables indécences. Debout à l’entrée de la salle, où il représentait le Gouvernement, le gardien de la paix, tout congestionné de honte, éclatait dans son ceinturon, suait, pouffait, détournait la tête... Et, dans ce même Montmartre, la veille ou l’avant-veille d’un nouvel an, j’ai cependant vu un soir toute une salle saisie d’une émotion frénétique, à ce refrain poussé tout à coup par un ténor râpé dont la voix éraillée remuait les entrailles :


Noël ! Noël ! Il va venir,
Celui qui doit sauver la France...


XIII

Maintenant, nous sommes en province, au Concert de la Gare, et une tristesse épaisse plane sur une assistance tapageuse et clairsemée. On tape des pieds, ou cogne les cannes sur le