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ces personnages officiels, ces femmes du monde dont on voit seulement l’éventail battre un peu plus vite dans les momens par trop intolérables, à ce mélange de bassesse et de niaiserie, de diamans et d’obscénité, d’ordure et de cérémonie, eu compagnie des laquais, des voleurs et des maquignons ?


XI

Le tableau d’un music-hall est à la fois analogue et différent. C’est la même atmosphère, avec d’autres horizons. On ne consomme pas aux fauteuils ni dans les loges, mais toute une partie de l’enceinte, disposée en café-brasserie, maintient à l’établissement son caractère de débit, et de grands promenoirs en pourtour, où grouille une perpétuelle cohue, entourent le parterre d’une roue de foule et de rumeur qui tourne avec un bruit de piétinement.

Le plus singulier, ici, c’est l’étrange puérilité, et presque l’innocence, de ce qu’on voit ordinairement sur la scène, et le spectacle de prostitution rôdante, l’aspect de vaste mauvais lieu qu’offre la salle. Au programme, des chevaux savans, des familles d’acrobates, des équilibristes, des ventriloques, des montreurs d’ours, des femmes-poissons qui nagent dans des aquariums, des escamoteurs qui s’escamotent eux-mêmes, des rémouleurs dont les meules jouent des romances quand ils y repassent leurs couteaux... Mais laissez de côté la représentation, regardez les promenoirs, les galeries, et vous y trouverez tout ce que l’ennui, le vice, le crime, la bestialité, le vagabondage cosmopolite et les digestions capiteuses peuvent mettre en chasse : la femme en quête d’hommes et l’homme en quête de femmes, le bourgeois qui s’est échappé de son ménage et le matelot qui vient de naviguer, l’Anglais de l’agence Cook avec sa lorgnette et l’assassin de filles galantes avec son surin... Et tout cela passe, repasse, va, vient, revient, dans les secousses ou les langueurs de l’orchestre. Tout cela tourne autour des poneys qui dansent, des chats qui sautent, des singes, des éléphans, des serpens, des crocodiles, avec un mouvement de rotation qui a quelque chose de la rotation terrestre. La sensation, poussée plus loin, serait du cauchemar, et va jusque-là, d’après les voyageurs, dans certains bastringues du Far-W. « Quand un pas ou une chanson, raconte le baron de Mandat-Grancey, dans